L'armée d'Italie était, avant Sacile, et selon les ordres de Napoléon, largement dispersée. Il voulait en effet éviter d'inquiéter l'Autriche, par une concentration qui pouvait être jugée agressive. L'Empereur avait sous-estimées les intentions et la préparation de l'Autriche, au printemps 1809, et c'est, dans cette perspective, lui seul qu'il faut blâmer pour les actions initiales du vice-roi. Ce dernier pensait qu'une attaque autrichienne se produirait d'abord à Tarvisio. Il fut donc surpris lorsque, après que l'archiduc Jean ait envoyé au vice-roi, le 9 avril, une déclaration semblable à celle de son frère Charles sur le font du Danube, les deux corps d'armée de l'archiduc Jean s'avancèrent, le 10 avril, par Udine, en direction du sud. Le 11 avril, Cividale avait été occupée par les autrichiens, avant que ce ne soit le tour d'Udine.
L'armée d'Italie se replia donc, en bon ordre, derrière la Livenza d'abord, puis le Tagliamento. Le 15 avril, l'arrière garde de Sahuc fut détruite à Pordenone. Le 35e de ligne (2.100 hommes) fut encerclé par plus de 4.000 Autrichiens. Après une résistance cinq heures, 400 Français et le colonel Breissand sont faits prisonnier. La moitié du 6e hussards fut également perdue, tant en blessés qu'en prisonniers, sous les assauts de la cavalerie autrichienne, en surnombre.
L'armée d'Italie était sur les deux rives de l'Adige et peu de force dans le Frioul, j'ai été obligé faire retirer le corps du Frioul et de faire avancer des divisions pour soutenir le mouvement, qui a été fort bien jusqu'à Sacile, où j'avais la ligne de la Livensa. L'ennemi, étant très en force à Pordenone, et le général Chasteler, avec une armée, ayant pénétré dans le Tyrol et marchant sur Trente, j'ai été obligé de livrer bataille le 16 avril pour au moins l’arrêter sur ce point : le résultat n'a pas été à mon avantage. Je me suis replié en arrière de la Piave, sans cependant être inquiété par l'ennemi, le temps affreux qu'il fait depuis quelques jours est ce qui me contrarie le plus. Je suis, la journée du 18 à Trévise, avec mes postes sur la Piave. Une partie de l'armée se porte dans le Tyrol, au-devant de l'ennemi. (Eugène à Marmont - révise, 18 avril 1809) |
Le 16 avril, Eugène, qui considère le repli que l'on vient de faire comme humiliant, décide, contre l'avis de son état-major, de faire front. L'endroit choisi est Sacile. Après des combats d'arrière-garde à Ospedaletto par Broussier et à Pordenone, par Sahuc (le 35e régiment perd dans ce combat trois de ses bataillons), Eugène va subir là l'assaut de l'archiduc Jean, avec seulement 36.000 hommes, n'ayant pas encore réussi à rassembler toutes ses forces, alors que l'archiduc Jean dispose de 45.000 hommes.
C'est un choc frontal pour l'infanterie française, sans soutien de cavalerie (1), qui dure cinq heures, au bout desquelles elle doit se replier.
Les pertes de l'armée d'Italie sont de l'ordre de 3.000 tués, 3.500 blessés - parmi lesquels de nombreux officiers, comme Severoli, Garreau, Teste, Pagès, Dutruy, Martel - et 15 canons capturés. Celles de l'archiduc sont également élevées : 3.600 tués et blessés, et 500 prisonniers (c'est le IXe corps qui souffrit les pertes les plus importantes). C'est certes un peu une victoire à la Pyrrhus, mais l'armée d'Italie doit continuer de reculer. Elle va même repasser la Piave, le 19 avril, avec trois journées de marche sur l'archiduc Jean, qui ne profite pas de son avantage et a laissé ses troupes se reposer.
Déprimé, le prince Eugène avait écrit, le 18 avril, à sa jeune femme :
Hier, quand je t'ai écrit, ma bonne Auguste, j'étais au désespoir, parce que j'avais sous les yeux la déroute la plus complète de notre armée. Aujourd'hui je suis plus tranquille et j’ai retrouvé tout mon courage; l'ennemi n'a pas profité de ses avantages, et moi je profite de sa sottise pour rallier l'armée.
De fait, des généraux aux simples soldats, l'armée d'Italie est, après Sacile, amère et démoralisée. Dans ces circonstances, il est indéniable que l'arrivée de Macdonald a un effet positif sur l'armée, en particulier à Vicenza. Une arrivée, d'ailleurs, qui ne manque pas de piquant : Macdonald est parti tellement rapidement de Paris, qu'il n'a eu le temps de se faire confectionner un nouvel uniforme : c'est donc en uniforme de général de la République qu'il apparaît, ce qui plait aux anciens, mais est accueilli avec des sarcasmes par les jeunes.
Macdonald donne ses conseils à Eugène. Selon lui, il suffit de bien observer les mouvements de l'archiduc Jean, pour savoir ce qui se passe en Allemagne. Si l'archiduc semble hésiter, c'est que rien de définitif n'est arrivé là-bas. Mais s'il se retire, c'est que l'archiduc Charles aura été battu sur le Danube. Il insiste une nouvelle fois sur l'importance du théâtre d'opérations d'Italie pour la marche de l'armée principale.
Le 17 avril (avant donc l'arrivée de Macdonald) Eugène avait déjà décidé de se conformer aux instructions préliminaires de l'Empereur (2) , et de mener une campagne défensive sur l'Adige. Le 25 ou le 26, il a une réunion avec la plupart de ses officiers généraux, et ordonne le repli de plusieurs de ses divisions derrière l'Adige, où elles pourront se refaire et attendre la poursuite peu énergique de l'archiduc. Le 27 avril, ce mouvement est terminé., l'armée franco-italienne est rassemblée autour de Caldiero.
Le 30 avril, Napoléon reçoit enfin un rapport, incomplet et volontairement vague de la bataille de Sacile. Napoléon est furieux de l'incompétence de son fils adoptif : il lui ordonne d'écrire à Murat, alors roi de Naples, et de lui remettre le commandement de l'Armée d'Italie.
Je vous répète donc que je pense qu'à moins que l'ennemi ne se soit déjà retiré, et peut-être même dans tous les cas, il est convenable que vous écriviez au roi de Naples de venir à l'armée, vous faisant un mérite et une gloire de servir sous un plus ancien que vous. Vous lui manderez que vous êtes autorisé par moi de cette démarche, et qu'à son arrivée il trouvera ses lettres de commandement. (3)
Entre-temps, on l'a vu, Eugène a concentré le reste de ses forces principales, c'est a dire les divisions qui n'ont pas été envoyées derrière l'Adige, autour de Caldiero. Il a sa droite à Arcole et sa gauche, vers le nord, à Illasi et Cazzano. Le gros de l'armée de l'archiduc Jean est autour de Villanova, quelques kilomètres à l'est. Mais, en raison des besoins pour les garnisons et l'arrière garde, il n'a maintenant guère plus de 30.000 hommes.
Le 28 avril, le vice-roi ordonne une attaque en tenaille, à partir de Caldiero, qui est rapidement repoussée, avec de faibles pertes des deux cotés. Macdonald était à la tête d'une des ailes, mais avait reçu l'ordre de reculer lorsque l'autre aile avait faiblit.
A la même époque, Eugène, Charpentier et l'état-major réorganisent l'Armée d'Italie. Une réserve d'artillerie est formée, sous les ordres du général Sorbier (4), en prélevant une partie des pièces de chaque division d'infanterie, et en les combinant avec celles de la Garde royale italienne. Eugène, par ailleurs, tire ses compagnies de voltigeurs des bataillons de ligne, qui, avec deux escadrons de cavalerie et quelque canons, formeront une brigade légère, qui sera utilisée comme avant-garde, sous le commandement du général de brigade Debruc .[5]
Les effectifs de l'armée croissent alors, avec le retour des blessés et des malades, et l'arrivée des bataillons de dépôt arrivant de différentes parties de l'Italie et de Naples. Baraguey d'Hilliers est arrivé à bout de la rébellion du Tyrol et de la milice assemblée par Chasteler dans les Alpes, et laissant une brigade observer l'extrême gauche de l'armée, rejoint, avec le restant de ses forces, le gros de l'armée à Caldiero.
Se préparant à sa contre offensive contre l'archiduc Jean, le prince Eugène donne le commandement de l'aile droite à Macdonald (divisions Broussier et Lamarque, brigade de dragons Guérin), de Ronco à Caliero. Grenier commande au centre (divisions Grenier et Seras, quatre escadrons du 8e de hussards), de Caldiero à San Martino. Baraguey d'Hilliers, enfin, est à gauche (divisions Severoli, Fontanelli et Rusca), devant Vérone. Le vice-roi est à la tête de la réserve (Garde royale italienne, division Durutte, cavalerie composée de la division de cavalerie légère Sahuc, ainsi que la division de dragons Pully, soit environ 47 escadrons et près de 9.400 sabres).
NOTES
(1) Et pourtant le 8e de chasseurs et le 6e de dragons sont attachés à la division Broussier, mais il n'apparaîtront pas.
(2) Joséphine s'en mêle également "Sur toutes chose, suis exactement ce que l'Empereur t'aura prescrit" lui écrit-elle, le 28 avril, pour réitérer, le 2 mai, sa recommandation : "Quel que soit l'évènement, tant que tu conformeras exactement aux ordres de l'Empereur, ta conscience doit être tranquille".
(3) Les succès de la Grande Armée, ceux que le vice-roi avait déjà obtenus lui-même quand cette lettre lui parvint, le dispensèrent de remettre le commandement au roi de Naples. On peut d'ailleurs penser que, compte tenu de la marche des évènements dans la vallée du Danube, l'épisode de Sacile n'était qu'un évènement, certes fâcheux pour Eugène, mais sans grande importance et que Napoléon, en fait, n'y attacha pas l'importance que Eugène exprima dans ses lettres.
(4) Jean-Barthélémot de Sorbier, 1762-1827
(5) Armand-Louis Debruc, 1772-1810