La jeune-fille courageuse de Kismegyer

Ferdi Wöber -


La métairie de Kismegyer aujourd'hui - Photo : R. OuvrardLa métairie de Kismegyer, le 14 juin 1809. National Museum Budapest (DR)Point central de la bataille de Raab (14 juin 1809), la métairie de Kismegyer -qui appartient à l'Ordre des Bénédictins - dresse ses imposants bâtiments - il n'en reste qu'un, de nos jours, un imposant grenier qui n'est pas sans rappeler la célèbre grange d'Essling - et offre, à l'abri d'un haut mur de pierre, aujourd'hui également disparu, une position facile à défendre, ce dont n'a pas manqué de profiter le commandement autrichien.

872 hommes vont être affectés à sa défense. Parmi lesquels 435 soldats de la Landwehr de Graz (2e bataillon), ainsi que quelques éléments des régiments d'infanterie 27 (Strassoldo) et 61 (Saint-Julien). Ils sont sous les ordres du major Hummel. Parmi eux, une jeune hongroise.

Qui est-elle et que fait-elle donc ici ? 

Elle s'appelle Ertsi (Elisabeth) Hatvan et est la fille de Josi Hatvan, berger de la métairie. Elle est fiancée à Stephan Vukosits, sous-officier au 1er régiment de hussards, qui se trouve stationné non loin de la métairie. Voilà pourquoi Ertsi se trouve ici, pour être près de celui qu'elle aime. Lorsque les combats ont commencé, la fuite n'est plus possible.

Elle s'est donc retrouvée au cœur même de la bataille. Alors, toute la journée, n'écoutant que sa belle âme, elle va s'occuper des blessés, leur prodiguant ses soins et, sans aucun doute, son sourire.

Les combats, qui débutent par une attaque de la cavalerie française vont durer six heures d'affilée. Cinq, six fois, les fantassins de la division Seras, appuyés par une forte artillerie, vont se lancer à l'assaut des murs de la métairie. Lorsque, le soir, ils cessent, l'armée autrichienne en déroute, ils ne sont plus là que 103 braves soldats de Graz. La plupart de leurs officiers sont morts ou blessés et seuls 9 sont indemnes, parmi eux, le major Hummel . Les français, de leurs cotés, ont également subi de fortes pertes : 36 officiers et 650 hommes de troupes ont laissé leur vie dans ces combats meurtriers.

Les derniers combats à Kismegyer. E. Zimmer. (DR)

Les rescapés de la Landwehr de Graz sont faits prisonniers et emmenés dans un village situé sur les arrières de l'armée française : Nyúl. C'est un petit village de vignerons, sur les pentes calcaires des collines par où, le matin même, les français ont débouché. De pauvres maisonnettes, mais aussi des caves, creusées à même la colline. Les maisons accueillent les officiers, les soldats sont répartis dans les caves. Ces derniers sont promis au peloton d'exécution. En effet, pour les français, ce ne sont que des partisans, car ils ne considèrent pas la Landwehr comme une armée régulière. Leur exécution est cependant remise à plus tard, sur l'intervention heureuse d'un officier français. Sur le coup de minuit, on leur apporte pain et vin, mais aussi la nouvelle, que, sur ordre du général en chef de l'armée française, Eugène de Beauharnais, ils seront bien fusillés à l'aube. 

Une des caves de Nyúl. On aperçoit la plaque commémorative. Photo : R. OuvrardUne des caves où furent incarcérés les soldats de la Landwehr de graz. Photo : R. OuvrardMais notre jeune fille réussi à s'échapper et à se fondre dans la nuit. L'histoire ne dit pas si elle conserva les vêtements de son sexe; toujours est-il que, grâce à sa parfaite connaissance des lieux, elle parvient à se glisser entre tous les postes français et à rejoindre les lignes autrichiennes. Elle raconte son histoire, la bataille, les prisonniers qui vont bientôt être exécutés, et son éloquence est telle qu'un officier l'amène au quartier général de l'archiduc Jean, à qui elle détaille à nouveau son histoire.

Au petit matin, l'archiduc envoie, à bride abattue, un de ses aides de camp au prince Eugène, pour lui raconter l'affaire et l'informer, d'abord que la Landwehr est une partie intégrante de l'armée autrichienne, ensuite, que si la sentence envers les prisonniers venait à être exécutée, les autrichiens feront, de leur coté, fusiller deux prisonniers français pour chaque autrichien passé par les armes.

Pendant ce temps, les prisonniers de Nyul sont amenés sur la place de leur exécution - vraisemblablement la petite prairie se trouvant au bout du chemin qui passe entre les vignobles et les caves; deux bataillons de gardes sont déjà en place. Mais l'exécution a été de nouveau remise, sans doute sur l'intervention du même officier français.

Au bout du chemin.... la petite prairie, où, sans doute, devait avoir lieu l'exécution. Photo : R. Ouvrard

Il a eu raison : bientôt parvient l'ordre, émanant du prince Eugène, d'annuler l'exécution !

Les soldats de la Landwehr de Graz seront peu après expédiés en France où ils seront retenus prisonniers à Chalon sur Marne. Ils retrouveront leur patrie, par suite d'échanges de prisonniers, le 13 janvier 1810 et recevront dans leur ville natale un accueil triomphal.

Le sort des officiers fut différent. Emmenés sous bonne escorte en direction de Vienne, ils sont, le 16 juin, libérés, non loin de Sarvàr, par des soldats hongrois de la division Mesko, qui en profitent pour également se saisir de l'escorte.

La courageuse Ertsi épousera son fiancé Stephan deux ans plus tard et ils s'installèrent dans la métairie, encore en partie endommagée.

L'historien autrichien Ferdi Wöber, bien connu pour ses livres sur les batailles d'Essling et de Raab, a réussi à reconstituer, en s'appuyant sur des archives jusqu'à peu encore inexploitées, reconstituer cet évènement. Il a, en même temps, réussi à mobiliser les municipalités de Nyúl et de Graz pour que l'histoire des 103 hommes du 2e bataillon de la Landwehr de Graz (le 1er bataillon participe, de son coté, à la défense de la citadelle du Schlossberg) ne soit pas définitivement oubliée. Le 27 septembre 2003, une petite cérémonie a marqué l'inauguration d'une plaque commémorative, apposée à l'entrée de l'une ces caves où les prisonniers furent gardés.

De gauche à droite : Pater Ireneus Galambos de l'abbaye de Pannonhalma, M. Soos, maire de Nyúl, M. R. Ouvrard, M. Ferdi Wöber, M. J. Zachar, Directeur du Musée de l'Armée de Budapest.