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Le passage du Niemen
Ordre de passage
Camp impérial de Naugardyszki, 23 juin 1812.
Le prince d'Eckmühl sera chargé de faire jeter les ponts, de commander le passage et de passer le premier avec son corps d'armée. Le général Éblé sera sous ses ordres, avec tout l'équipage de pont, les parcs du génie, les ouvriers et marins qui lui sont attachés.
À huit heures du soir, l'équipage de pont se mettra en mouvement, savoir : le général de division Morand, à la tête de trois compagnies de voltigeurs du 13e d'infanterie légère, commandées par un chef de bataillon de choix, 50 sapeurs et un capitaine du génie. Chaque sapeur aura son outil. Chaque voltigeur aura un outil sur son sac. Il leur sera distribué de plus des paquets de cartouches, de sorte que chaque voltigeur ou sapeur ait soixante cartouches au moment du passage.
Le général Éblé divisera son pont en quatre parties, étant dans l'intention de jeter quatre ponts. Une ou deux compagnies de pontonniers seront attachées à chaque pont; il leur sera attaché également une ou deux compagnies de sapeurs, une ou deux compagnies d'ouvriers, une ou deux compagnies de marins, sous les ordres d'un officier supérieur de pontonniers. Les marins et officiers du génie, quel que soit leur grade, seront subordonnés aux officiers de pontonniers.
Un des ponts sera jeté vis-à-vis la butte, à la gauche de la Jesia : les deux autres, entre celui-là et le village de Poniemon, de manière qu'il y aura au moins 150 toises d'un pont à l'autre; à dix heures du soir, les trois ponts étant arrivés devant leur emplacement et dans le plus grand silence, les bateaux seront mis à l'eau. Les 300 hommes seront jetés de l'autre côté ; il ne sera fait aucun feu, à moins de nécessité absolue. Le chef de bataillon barricadera ses 300 hommes dans le village, en faisant des coupures.
Le général Pernety fera placer au même moment les batteries de réserve du 2e corps sur la butte.
La batterie de réserve du 1er corps se mettra en marche à six heures pour s'approcher de Poniemon et être portée sur la droite, dans l'endroit qui sera reconnu le plus favorable au-delà de l'île.
Une compagnie du 4e bataillon du 13e d'infanterie légère sera jetée dans l'île qui est vis-à-vis Poniemon.
La batterie légère et la batterie à pied de la division Morand seront placées, la batterie à cheval, sur la gauche de la Jesia, entre le mamelon et l'embouchure de la Jesia ; la batterie à pied, quatre pièces à portée du deuxième pont et quatre pièces sur la droite du troisième pont.
Les quatre batteries à cheval du corps d'armée resteront avec leur division.
Les quatre batteries à pied seront placées au village de Poniemon et distribuées en quatre batteries, entre la batterie de réserve et le dernier pont. La batterie de la 2e division sera la première ; celle de la 3e sera la seconde ; celle de la 4e la troisième, et celle de la 5e sera la quatrième. Chaque batterie devant passer avec sa division, cela se fera par un simple mouvement à gauche.
Le corps d'armée prendra les armes à sept heures.
On s'assurera que les soldats ont mangé la soupe. On fera l'inspection des sacs et des cartouches, et l'on s'assurera qu'ils ont avec eux pour quatre jours de vivres, sans les bagages et caissons, rien ne devant passer.
À huit heures, le corps se mettra en marche et se placera entre Alexota et la Jesia sur seize lignes, chaque régiment formant une ligne à la distance d'un demi-bataillon; le colonel et l'état-major du régiment placés devant l'aigle du 1er bataillon; le général de brigade en avant, au centre de sa brigade ; les pièces de régiment à la droite de chaque ligne et constamment attelées, avec tous les caissons et ambulances des régiments ; le général de division en arrière du centre de la 3e ligne, avec les commissaires des guerres, administrations et ambulances de la division ; la batterie à cheval sur la gauche de la division.
Il y aura, d'une division à l'autre, la distance d'un demi-bataillon. Les divisions seront par ordre de numéros.
La brigade de cavalerie légère sur deux lignes, chaque régiment formant une ligne, ayant le général de brigade à sa tête; les chevaux sellés, mais débridés.
Tous les officiers de l'état-major du corps d'armée, entre la 1e et la 2e division, avec les commissaires de guerres, officiers du génie, etc.
Les compagnies de sapeurs seront à leur division ; ils seront avec les batteries à cheval, tous les caissons de cartouches, le parc d'artillerie des trois divisions et les caissons d'outils, de manière qu'à dix heures tout se trouve ainsi en position.
Le 13e d'infanterie légère sera en bataille à côté des pontonniers, où se trouve le général Morand, afin d'être employé, selon les circonstances, à renforcer les hommes sur la rive droite, ou pour tout autre service.
À dix heures du soir les trois ponts doivent être jetés. La division Morand débouchera sur trois colonnes, c'est-à-dire par brigade, chaque brigade ayant à sa tête les pièces de régiment. Le général de division passera par le pont du centre. La batterie d'artillerie légère passera par le pont de gauche, c'est-à-dire par celui situé avant l'embouchure de la Jesia, à la queue de la brigade qui passe sur ce pont. La batterie à pied passera moitié au pont de droite et moitié au pont du centre.
Le général Pajol passera avec les deux compagnies d'élite de sa brigade, l'une au pont du centre et l'autre au pont de droite.
La division passée prendra une position qui appuie sa droite et sa gauche au Niemen, son artillerie en position et attendra ainsi le jour. Elle pourra se porter 1 000 toises en avant, laissant toujours les trois compagnies de voltigeurs au village et dans le réduit.
La cavalerie ne fera aucune patrouille : elle restera seulement en forme de grand'garde, une compagnie dans la direction de Kovno, et l'autre dans la direction du fleuve montant, tout le monde sous les armes et à cheval.
Dans cet état de choses, le prince d'Eckmühl prendra mes ordres pour l'heure où devra passer la 2e division. Les ordres les plus sévères seront donnés pour empêcher le gaspillage. Le général Saunier, commandant la gendarmerie du 1er corps, se rendra avec 50 gendarmes et un bataillon, dès la pointe du jour, à Kovno. Le général Tarayre, désigné pour être le commandant de la place, un commissaire des guerres, un garde-magasin, un inspecteur des vivres du 1er corps, s'y rendront également et prendront possession de la ville. Ils placeront des postes pour ne laisser entrer personne dans la ville, ni soldats, ni officiers, ni généraux, ni état-major général ; ils convoqueront les bourgmestres à l'hôtel de ville et m'enverront les bourgmestres et les habitants qui pourront me donner des nouvelles.
Le général Morand aura soin, aussitôt qu'il sera passé, de mettre une sauvegarde de 10 hommes dans le couvent de Sainte-Croix.
Demain, à cinq heures, les constructeurs de fours du 1er corps, avec une compagnie de sapeurs, entreront en ville pour y établir des fours.
Le quatrième pont sera placé sur les hauteurs d'Alexota, en arrière ; il restera là en réserve avec les pontonniers, sapeurs et marins. Le commandant de ce quatrième pont, après avoir placé ses pontons qui resteront attelés toute la nuit, se rendra auprès du général Éblé, aux trois ponts, afin que, si on s'apercevait qu'il n'y eût pas assez de bateaux pour les trois ponts, il m'en fût rendu compte, et que cet officier, parfaitement instruit de la localité, pût les aller prendre lui-même sans confusion ni retard ; il aurait à cet effet reconnu le chemin qu'il devrait prendre.
Aussitôt que la ville sera occupée, le quatrième pont sera jeté au passage ordinaire d'Alexota, et, comme la rivière n'a que 50 toises, il restera encore des pontons pour jeter un pont sur la Viliya. Ce pont sera tenu attelé, si toutefois les dimensions qu'on a données de la rivière se trouvent vérifiées.
Toute la cavalerie du 1er et du 2e corps montera à cheval à sept heures et se placera sur la hauteur en arrière d'Alexota ; elle se formera en autant de lignes que de régiments, chaque division ayant son artillerie, laquelle sera mise en batterie, en partie sur les hauteurs d'Alexota ; les pièces resteront attelées.
Aussitôt que chaque division sera formée, les hommes mettront pied à terre ; ils s'établiront au bivouac : les chevaux seront sellés, mais débridés.
Chaque général de division bivouaquera à la tête de sa division; chaque général de brigade à la tête de sa brigade.
L'état-major de la cavalerie s'établira dans la maison du médecin d'Alexota, à dix heures du soir, sans faire aucun feu ni aucun bruit.
Un second ordre que le prince d'Eckmühl recevra dans la soirée lui fera connaître les mouvements qu'il peut avoir à faire après le passage.
Toutes les voitures de bagages, de vivres, la réserve du parc, des vivres, seront placées dans un seul endroit et éloignées au moins de 1 000 toises de la rivière, n'obstruant aucune route ; il ne passera qu'une seule voiture, celle du prince d'Eckmühl et son caisson.
PARC D'ARTILLERIE. - Chaque pièce passera avec son approvisionnement complet; les caissons d'infanterie attachés aux divisions passeront également. Le parc de réserve sera placé à 1 000 toises du rivage.
Demain, à cinq heures du matin, le directeur du parc prendra les ordres du major général pour le passage de son parc.
Demain, également à cinq heures du matin, le vaguemestre du 1er corps prendra les ordres du major général sur le nombre de voitures et caissons dont le passage sera autorisé ; ce qui ne pourra avoir lieu qu'après que le corps aura pris position et qu'on aura des nouvelles de l'ennemi.
(Correspondance de Napoléon Ier.)