DOUZIÈME BULLETIN DE LA GRANDE ARMÉE[1]
Munich, 5 brumaire an 14.[2]
Au cinquième bulletin de l’armée, il faut joindre la capitulation de Memmingen, qui a été oubliée.
On travaille dans ce moment avec la plus grande activité aux fortifications d’Ingolstat[3] & d’Augsbourg.
Des têtes de pont sont construites à tous les ponts du Leck[4], & des magasins sont établis sur les derrières.
Sa Majesté a été extrêmement satisfaite du zèle & de l’activité du général de brigade Bertrand[5], son aide-de-camp, qu’elle a fréquemment employé à des reconnaissances.
Elle a ordonné la démolition des fortifications des villes d’Ulm & de Memmingen.
L’électeur de Bavière est attendu à tout instant. L’Empereur a envoyé son aide-de-camp, colonel Lebrun[6], pour le recevoir & lui offrir sur sa route des escortes d’honneur.
Un Te Deum a été chanté à Augsbourg & à Munich. La proclamation ci-jointe a été affichée dans toutes les villes de Bavière. Le peuple bavarois est plein de bons sentimens ; il court aux armes, & forme des gardes volontaires pour défendre le pays contre les incursions des Cosaques.
Les généraux Deroi[7] & Wreden[8] montrent la plus grande activité : ce dernier a fait beaucoup de prisonniers autrichiens. Il a servi pendant la guerre passée dans l’armée autrichienne, & il s'y est distingué.
Le général Mack ayant traversé en poste la Bavière pour retourner à Vienne, rencontra le général Wreden, aux avant-postes, près l’Inn. Ils eurent une longue conversation sur la manière dont les Français traitaient l’armée bavaroise.
«Nous sommes mieux qu’avec vous, lui dit le général Wreden, nous n’avons ni morgue ni mauvais traitemens à essuyer ; & loin d’être exposés aux premiers coups, nous sommes obligés de demander les postes périlleux, parce que les Français se les réservent de préférence. Chez vous, au contraire, nous étions envoyés par-tout où il y avait de mauvaises affaires à essuyer.»
Un officier d’état-major vient d’arriver de l’armée d’Italie. La campagne a commencé le 26 vendémiaire[9]. Cette armée formera bientôt la droite de la grande armée.
L’Empereur a donné hier un concert à toutes les dames de la Cour. Il a fait un accueil très-distingué a madame de Montgelas[10], femme du premier ministre[11] de l’électeur, & distinguée d’ailleurs par son mérite personnel.
Il a témoigné son contentement à M. de Wintz[12], maître de musique de l’électeur, sur la bonne composition de ses morceaux, tous pleins de verve & de talent.
Aujourd’hui dimanche, 5 brumaire, l’Empereur a entendu la messe dans la chapelle du palais.
Voici les noms des généraux autrichiens qui ont été faits prisonniers. Le nombre des officiers est de 1500 à 2000. Chaque officier a signé sa parole d’honneur de ne pas servir : on espère qu’ils la tiendront exactement ; s'il en était autrement, les lois de la guerre seraient suivies dans toute leur rigueur.
État des officiers généraux autrichiens faits prisonniers aux affaires d’Elchingen, Wertingen, Memmingen, Ulm, &c.
MM. le baron Mack, feld-maréchal-lieutenant, quartier-maître général ;
Le prince de Hesse-Hombourg[13], feld-maréchal-lieutenant ;
Le baron de Hipschis[14], idem ;
Le comte de Giulai, idem, quartier-maître-général de l'armée du prince Ferdinand ;
Le baron de Laudon[15], idem ;
Le comte de Klenau, idem ;
Le comte de Gottescheim, idem ;
Le comte de Riese, idem ;
Le comte Baillet, idem ;
Le comte de Werneck, idem ;
Le prince de Hohenzollern, idem ;
Le prince de Lichtenstein, général-major ;
Le baron d’Abel[16], idem ;
Le baron d’Ulm[17], idem ;
Le baron de Weidenfeld[18], idem ;
Le comte d’Awersberg[19], idem ;
Le comte de Gehneddy[20], idem ;
Le comte de Fremel[21], idem ;
Le comte de Stiecker[22], idem ;
Le comte de Hermann[23], idem, pris à Elchingen ;
Le comte de Hermann, idem, pris à Ulm ;
Le comte de Reichter[24], idem ;
Le comte de Dieuersberg[25], idem ;
Le comte de Mitkiery[26], général-major ;
Le comte de Wogel[27], idem ;
Le comte de Weiber[28], idem ;
Le comte de Hohenfeld, idem ;
Le baron d’Aspre, idem ;
Le comte de Spaugen[29], idem ;
Capitulation de la garnison de Memmingen.
M. le général de division Saligny[30], chef de l'état-major du 4e. corps de la grande armée, au nom de S.M. l'Empereur des Français, & d'après les ordres de S. Exc. le maréchal Soult, & M. le comte de Spangen, général-major, commandant dans Memmingen, sont convenus de la capitulation suivante :
Art. 1er. La garnison autrichienne de Memmingen se rend prisonnière de guerre au 4e. corps de la grande armée, commandée par S. Exc. le maréchal Soult.
2. La garnison sortira avec les honneurs de la guerre.
3. MM. les officiers seront libres de se rendre dans leurs foyers, en donnant leur parole d'honneur de ne servir qu'après échange, grade par grade, ou de suivre le sort de leur troupe.
4. Les officiers conserveront leurs armes, leurs chevaux & leurs équipages ; les sous-officiers & soldats tous leurs effets d'habillement.
5. Les non-combattans, tels que les chirurgiens, médecins, aumôniers, fourriers & musiciens, seront rendus.
6. Tous les papiers qui regardent la place, ou l'armée autrichienne, seront remis à M. le chef de l'état-major de l'armée française.
7. Toute l'artillerie, tous les approvisionnemens de guerre & de bouche, tous les chevaux de troupe & de transport, seront remis à l'armée française, d'après l'état de situation de la place.
8. S. Exc. M. le maréchal promet avec plaisir de faire donner à tous les malades les mêmes soins qu'aux malades de l'armée française.
9. Il sera donné des chariots pour le transport des effets de MM. les officiers.
Fait en présence du général Sébastiani, du colonel Fitteau & des officiers supérieurs de la place.
Memmingen, le 22 vendémiaire (14 octobre.)
Signés, le général de division SALIGNY ; le général HORACE SÉBASTIANI ; M. FITTEAU[31], colonel au 3e. régiment de dragons ; le comte de SPANGEN, général-major ; WOUWERMANS[32], colonel ; le baron de LAUER[33], major & ingénieur, &c.
Traduction d'une Proclamation de l'Électeur de Bavière,
aux Bavarois.
Bavarois !
Dans un moment où j'étais uniquement occupé de votre prospérité, où je ne prévoyais aucun danger, j'ai été forcément séparé de vous !
L'Autriche, pour la conservation de laquelle le généreux sang des bavarois a coulé si souvent, avait conçu des plans perfides contre vous & contre moi. On demandait, avec menace, vos fils, mes braves soldats, pour être disséminés dans l'armée autrichienne, & pour combattre une puissance qui de tous temps a protégé l'indépendance de la Bavière.
Ainsi les bavarois ne devaient plus combattre pour leur patrie, mais pour des intérêts étrangers : ainsi jusqu'au nom de l'armée bavaroise, devait être détruit.
Mes devoirs, comme prince & comme père d'un peuple fidèle & indépendant, ont dû me porter à repousser des propositions aussi déshonorantes pour la nation, & à maintenir, avec fermeté, la neutralité de mes états.
Je me flattais encore de l'espoir de voir s'accomplir le plus ardent de mes voeux, le repos de la patrie. Les négociations, à ce sujet, n'étaient pas encore rompues, lorsque l'Autriche, fidèle au système d'anéantir l'indépendance de la Bavière, viola les traités les plus sacrés, fit passer l'Inn à son armée[34], & vous traita comme les habitans d'un pays conquis[35]. Les réquisitions les plus onéreuses furent faites ; on vous priva des instrumens les plus nécessaires à votre industrie, même de ceux de votre agriculture ; vos champs furent dévastés, vos bestiaux enlevés de force ; on vous inonda d'un papier-monnaie déprécié ; même un grand nombre de vos fils furent contraints de servir sous les drapeaux de l'Autriche.
Après une invasion aussi perfide, après des outrages aussi inouis, il était de ma dignité, comme prince & comme protecteur de la nation, de prendre les armes, & de délivrer la patrie de ses oppresseurs.
L'Empereur des français, l'allié naturel de la Bavière[36], vole à notre secours, avec ses intrépides guerriers, il vient pour nous venger ; déjà vos frères & vos fils, combattent dans les rangs de ces braves, habitués à la victoire, & déjà nous voyons l'aurore de notre salut.
Bavarois, qui portez patiemment les maux dont vous accablent les ennemis de la patrie, souvenez-vous de votre prince, qui connaît vos souffrances, qui les partage, & qui ne peut supporter l'idée d'être séparé de vous que dans la persuasion qu'en conservant sa liberté individuelle, il s'est assuré les moyens d'agir avec une indépendance absolue, pour ses chers & fidèles sujets.
Notre bonne cause est sous la protection d'un Dieu juste, & d'une armée courageuse commandée par un héros invincible.
Que le mot de ralliement de chaque bavarois, soit pour son prince & pour la patrie.
Wurtzbourg, le 10 octobre 1805.
Signé, MAX.-JOSEPH, électeur.
[1] In : Mémorial administratif du département de l'Ourte, n° 296 du 15 brumaire an XIV (06.11.1805), p. 133-137. Liège : J.F. Desoer, 1806. (Mémorial administratif du département de l'Ourte ; IX).
[2] 27 octobre 1805.
[3] Ingolstadt, ville de Bavière, sur le Danube, à l'est de Neubourg et au sud-est d'Eichstätt, sur le route reliant Ulm à Ratisbonne.
[4] Lire : le Lech.
[5] Henri Gatien Bertrand (1773-1844), général (1800), comte de l'Empire (1808), gouverneur général des Provinces illyriennes (1811-1813), Grand maréchal du palais (1813-1815) et, à ce titre, faisant fonction de ministre-secrétaire d'État et de ministre de l'Intérieur à l'île d'Elbe (1814-1815), puis de Major-général de l'armée impériale pendant le "Vol de l'Aigle", au début des Cent Jours (1815) ; pair des Cent Jours (1815), fidèle de l'Empereur à Sainte-Hélène jusqu'à la mort de Napoléon. Il sera un temps député sous la monarchie de Juillet et participera au retour des Cendres en 1840. Le 25 août précédant la campagne, il s'était vu confier par l'Empereur la mission de reconnaître très précisément toute la région entre le Rhin et l'Inn, de Rastadt à Passau, en passant par Ulm et tous les cours d'eau se jettant dans le Danube.
[6] Anne Charles Lebrun (1775-1859), fils du prince-architrésorier. Aide de camp de Bonaparte depuis l'Italie, colonel (1804), général (1807), il sera député de Seine-et-Marne dans la Chambre des Cent Jours (1815), pair de France et duc de Plaisance à la mort de son père (1824), sénateur du Second Empire (1852) et grand-chancelier de la Légion d'honneur (1853-1859).
[7] Lire : Deroy.
[8] Lire : Wrede.
[9] C'est à dire le 18 octobre 1805. Voir les bulletins de l'armée d'Italie qui sont également publiés dans la présente série.
[10] Franziska Ernestine Rupertina Walburga Gräfin von Arco auf Valley (1779 - 1820) a épousé le comte de Montgelas en 1803.
[11] Maximilian, comte von Montgelas (1759-1838), d'ascendance savoyarde. Principal ministre de l'électeur de Bavière depuis 1799, il reste très influencé par la philosophie des Lumières (dans sa jeunesse, il a été membre de la société secrète des Illuminés et, en 1793, a même été soupçonné de jacobinisme) et applique dans l'État de Maximilien un programme de réformes considérables. Parallèlement, il veillera toujours à assurer le maximum d'indépendance à son pays. Il perd le pouvoir en 1817, sans doute trop marqué aux yeux du roi de Bavière par la politique pro-française qu'il a singulièrement personnifiée.
[12] Peter von Winter (1754-1825), maître de chapelle de la cour de Bavière depuis 1798. Après avoir étudié notamment avec von Weber et Meyerbeer, il a notamment travaillé un temps sous la direction de Salieri. Il a connu un très grand succès en 1796 avec son opéra Das unterbrochene Opferfest (Le Sacrifice interrompu), a écrit des variations sur du Beethoven et s'est essayé à continuer la Flûte enchantée de Mozart.
[13] Friedrich Joseph Ludwig Karl August von Brabant, landgrave von Hessen-Homburg (1769-1829), prince héréditaire puis (1820), landgrave Friedrich VI. de Hesse-Hombourg, lieutenant-feld-maréchal (1805), général de cavalerie (1813), il aura participé à toutes les grandes batailles ayant opposé Français et Autrichiens sous l'Empire, hormis Austerlitz. À Elchingen, il commandait la 2e division du corps Riesch.
[14] Joseph, baron Stipsicz von Ternova. Il est colonel en chef du régiment de hussards n° 10 (futur régiment Friedrich-Wilhelm III., König von Preussen) de 1802 à 1814.
[15] Alexander, baron von Laudon, ou Loudon (1762-1822), issu d'une famille d'origine irlandaise. Lieutenant-feld-maréchal (1800). Il commandait la 1ère division du corps Riesch lors de la bataille d'Elchingen.
[16] F., baron Abele zu Lilienberg.
[17] Joseph, baron von Ulm zu Erbach. Il commandait la brigade de réserve de la 1ère division (Laudon) lors de la bataille d'Elchingen.
[18] Karl Philipp, baron von Weidenfeld (1741-1811), sera ultérieurement Lieutenant-feld-maréchal.
[19] Franz Xavier, comte von Auersperg (1749-1808), du 36e IR. Commandant de la brigade du Centre de la 2e division (Hesse-Hombourg) lors de la bataille d'Elchingen.
[20] Lire : Johann Ghenedegg, ou Gehnidegg. Il commandait la brigade du Centre de la 1ère division (Laudon) à la bataille d'Elchingen.
[21] Ferdinand Pierre, comte Hennequin de Fresnel et Carel.
[22] Franz , comte von Sticker von Haymingthal.
[23] Peut-être Samuel, comte von Hermann. Le général-major Hermann commandait la brigade de réserve de la 2e division (Hesse-Hombourg) à la bataille d'Elchingen.
[24] Peut-être Joseph, comte von Richter.
[25] Lire : Dinnersberg
[26] Lire : Mecséry. Commandant de la brigade d'avant-garde de la 2e division (Hesse-Hombourg) lors de la bataille d'Elchingen.
[27] Peut-être Anton, comte von Vogl.
[28] Peut-être Franz, comte Weber von Treuenfels.
[29] Carl, baron von Spangen von Uyternesse.
[30] Charles Saligny (1772-1809). Général (1799), duc de San Germano, titre attribué par le roi Giuseppe Napoleone (1806), baron de l'Empire (1808).
[31] Edmé Fiteau (1772-1810). Général (1809), comte de Saint-Étienne et de l'Empire (1810).
[32] Issu d'une famille d'origine anversoise (Brabant) émigrée à Vienne. Colonel effectif (1805-1808) du 9e IR "Prince Czartoryski", anciennement "Comte Clerfayt", régiment considéré comme "wallon" dans la nomenclature par nationalités en vigueur dans l'armée autrichienne.
[33] Joseph, baron von Lauer (1769-1848), major à l'état-major (1800), il terminera sa carrière en tant que général d'artillerie (Feldzeugmeister) (1847).
[34] Le 7 septembre 1805.
[35] Munich est tombée aux mains des Autrichiens le 14 septembre et l'électeur s'est réfugié, avec sa cour et ses ministres, à Wurzbourg.
[36] L'électeur se garde bien de rappeler que si les Autrichiens se sont finalement décidés à envahir son pays, c'est que lui-même les y a indirectement conduits par son hésitation manifeste à ratifier le traité d'alliance militaire avec la France conclu à Bogenhausen le 25 avril précédent, à l'instigation du ministre Montgelas.