Février 1797   


Quartier général, Faenza, 3 février 1797

Au Directoire exécutif

Je me suis attaché à montrer la générosité française vis-à-vis de Wurmser, général âgé de soixante et dix ans, envers qui la fortune a été, cette campagne-ci, très cruelle, mais qui n'a pas cessé de montrer une constance et un courage que l'histoire remarquera. Enveloppé de tous côtés à la bataille de Bassano, perdant d'un seul coup une partie du Tyrol et son armée, il ose espérer pouvoir se réfugier dans Mantoue, dont il est éloigné de quatre à cinq journées, passe l'Adige, culbute une de nos avant-gardes à Cerea, traverse la Molinella et arrive dans Mantoue. Enfermé dans cette ville, il a fait deux ou trois sorties; toutes lui ont été malheureuses, et à toutes il était à la tête. Mais, outre les obstacles très considérables que lui présentaient nos lignes de circonvallation, hérissées de pièces de campagne, qu'il était obligé de surmonter, il ne pouvait agir qu'avec des soldats découragés par tant de défaites et affaiblis par les maladies pestilentielles de Mantoue. Ce grand nombre d'hommes qui s'attachent toujours à calomnier le malheur ne manqueront pas de chercher à persécuter Wurmser ...


Ancône, 10 février 1797

A Joséphine

Nous sommes à Ancône depuis deux jours. Nous avons pris la citadelle après une petite fusillade, et par un coup de main. Nous avons fait 1200 prisonniers; j'ai renvoyé les 50 officiers chez eux.

Je suis toujours à Ancône. Je ne te fais pas venir, parce que tout n'est pas terminé, mais sous peu de jours j'espère que cela sera terminé. D'ailleurs, ce pays-ci est très maussade, et tout le monde a peur.

Je pars demain pour les montagnes. Tu ne m'écris point; tu devais cependant me donner de tes nouvelles tous les jours.

Je te prie d'aller te promener tous les jours, cela te fera du bien.

Je te donne un million de baisers. Je ne me suis jamais autant ennuyé qu'à cette vilaine guerre-ci.

Adieu, ma douce amie, pense à moi.


Ancône, 13 février 179

A Joséphine

Je ne reçois pas de tes nouvelle, et je ne doute pas que tu ne m'aimes plus. Je t'ai envoyé des journaux et différentes lettres. Je pars à l'instant pour passer les montagnes. Du moment que je saurais à quoi m'en tenir, je te ferai venir avec moi: c'est le vœu le plus cher de mon cœur.

Mille et mille baisers


Tolentino, 16 février 1797

A Joséphine

Tu es triste, tu es malade, tu ne m'écris plus, tu veux t'en aller à Paris. N'aimerais-tu plus ton ami? Cette idée me rend malheureux. Ma douce amie, la vie est pour moi insupportable, depuis que je suis instruit de ta tristesse. Je m'empresse de t'envoyer Mascati, afin qu'il puisse te soigner. Ma santé est un peu faible, mon rhume dure toujours. Je te prie de te ménager, de m'aimer autant que je t'aime, et de m'écrire tous les jours. Mon inquiétude est sans égale. J'ai dit à Mascati de t'accompagner à Ancône, si tu veux y venir. Je t'écrirai là pour te faire savoir où je suis. Peut-être ferai-je la paix avec le Pape et serai-je bientôt près de toi : c'est le vœu le plus ardent de mon âme: Je te donne cent baisers. Crois que rien n'égale mon amour, si ce n'est mon inquiétude. Écris-moi tous les jours toi-même. Adieu, très chère amie.


Tolentino, 19 février 1797

A Joséphine

La paix avec Rome vient d'être signée. Bologne, Ferrare, la Romagne sont cédées à la République.  Le Pape nous donne trente millions dans peu de temps, et des objets d'art.

Je pars demain matin pour Ancône, et de là pour Rimini, Ravenne et Bologne. Si ta santé te le permet viens à Rimini ou Ravenne; mais, ménage-toi, je t'en conjure.

Pas un mot de ta main; bon Dieu !1 qu'ai- je donc fait ? Ne penser qu'à toi, n'aimer que Joséphine, ne vivre que pour ma femme, ne jouir que du bonheur de mon amie. cela doit-il me mériter de sa part un traitement si rigoureux ? Mon amie, je t'en conjure, pense souvent à moi, et écris-moi tous les jours. Tu es malade, ou tu ne m'aimes pas ! Crois-tu donc que mon cœur soit de marbre ? Et mes peines t'intéressent-elles si peu ? Tu me connaîtrais bien mal ! Je ne le puis croire. Toi, à qui la nature a donné l'esprit, la douceur et la beauté, toi qui seule pouvais régner dans mon peur, toi qui sais trop, sans doute, l'empire absolu que tu as sur moi !

Écris-moi, pense à moi, et aime-moi.

Pour la vie tout à toi