16 - 31 mai 1806
Saint-Cloud, 16 mai 1806
A M. de Talleyrand
Monsieur de Talleyrand, vous verrez, par les lettres de Rome du 30 avril, que le Saint-Siège me demande le Faucon pour la couronne de Naples.
Voici la note à présenter au cardinal Caprara :
"Le soussigné est chargé par S. M. l'Empereur de faire connaître à S. Ém. M. le cardinal Caprara, ambassadeur de Rome auprès de lui, qu'il n'a pu voir qu'avec la plus extrême surprise la note du cardinal Consalvi, daté du 26 avril, par laquelle ce cardinal prétendrait soumettre la couronne de Naples aux droits soi-disant du Saint- Siège. Il n'a pu reconnaître là que l'extrême impéritie et la mauvaise volonté de la cour de Rome, de confondre des circonstances qui ne se ressemblent point; et, pour qu'il ne reste aucun doute sur ses sentiments, Sa Majesté m'a ordonné de les expliquer avec la plus grande simplicité et clarté. Sa Majesté ne cherche pas dans l'histoire à connaître s'il est vrai que, dans des temps d'ignorance, la Cour de Rome ait usurpé le droit de donner des couronnes et des droits temporels aux princes de la terre. En conséquence de cette prétention, la cour de Rome s'attribuerait-elle des droits sur la couronne de Naples ? Mais si l'on trouvait que, dans d'autres siècles, la cour de Rome a détrôné des souverains, prêché des croisades, interdit des royaumes entiers, on rencontrerait aussi que les papes ont toujours considéré leur temporel comme ressortissant des empereurs francais. Et l'Empereur, en montant sur le trône de France, n'a jamais prétendu hériter des droits de la troisième dynastie, dont la souveraineté ne s'étendait pas à la moitié des domaines aujourd'hui soumis à son empire, mais hériter des droits des empereurs francais; et la Cour de Rome ne prétend pas sans doute que Charlemagne ait reçu d'elle l'investiture de son royaume. En conséquence, le soussigné est chargé de demander la reconnaissance pure et simple du royaume de Naples. A défaut de cette reconnaissance, Sa Majesté ne reconnaîtra pas le Pape comme prince temporel, mais seulement comme chef spirituel. Sa Majesté a vu avec beaucoup de peine que le cardinal Consalvi ait eu le mauvais esprit de remettre sur le tapis des questions oiseuses qu'on ne peut plus traiter, et l'ait obligée d'expliquer ainsi son système et ses principes. A cette occasion , le soussigné ne peut s'empêcher de le demander : que veut la secrétairerie d'État de Rome ? quel esprit de vertige s'est donc emparé d'elle ? et quelle conduite que celle que des hommes profondément méchants et ineptes lui font tenir depuis longtemps ! Il faut le dire : le Saint-Siège est las du pouvoir temporel. Du reste, le soussigné est chargé de déclarer que l'Empereur aura, dans tous les temps, pour le chef de l'Église, la considération et les égards qu'ont eus pour lui Charlemagne, Louis IX et les princes les plus chrétiens, sans cependant lui laisser toucher en rien au temporel ni aux droits de la couronne impériale."
Vous préviendrez le cardinal Caprara que, s'il n'envoie pas la note ci-dessus à sa Cour par un courrier extraordinaire, il peut la faire passer par l'estafette qui part tous les soirs pour Naples, et qui la jetterait à Rome en passant; qu'il peut s'adresser, pour cette transmission , à M. Lavallette. Vous direz à Alquier que, quand on lui parlera de cette note, il dise que je suis très-mécontent; que j'ai des lettres de Consalvi dans lesquelles il écrit qu'il ne veut pas reconnaître le roi de Naples, chose d'autant plus insensée que je ne l'ai pas demandé et n'ai pas besoin de sa reconnaissance. Il peut dire que, si cela continue, je ferai enlever Consalvi de Rome et le rendrai responsable de ce qu'il veut faire, parce qu'il est évidemment acheté par les Anglais. Il verra si j'ai la force et le courage de soutenir ma couronne impériale. Appuyez sur ce mot impériale, et non royale et sur ce, que les relations du Pape avec moi doivent être celles
ses prédécesseurs avec les empereurs d'Occident.
Saint-Cloud, 16 mai 1806
A M. de Talleyrand
Monsieur de Talleyrand, faites présenter au cabinet espagnol un note officielle pour qu'il ne reçoive plus les bâtiments suédois dans les ports d'Espagne. La conduite de cette puissance, qui fait cause commune avec l'Angleterre, réclame cette mesure de la part de l'Espagne.
Saint-Cloud, 16 mai 1806
Au cardinal Fesch
Mon Cousin, je vous ai rappelé de Rome parce qu'il n'est plus de ma dignité que vous restiez dans une Cour aussi mal conduite, et qui prend tellement à tâche de me contrarier que je serai, tôt ou tard, obligé de la punir. Mais vous pouvez rester à Rome tout le temps que vous le jugerez convenable, et laisser le soin des affaires à Alquier. Voyez le Pape et dites-lui que la note du cardinal Consalvi m'a fortement indisposé; que cet homme, par bêtise ou par trahison veut perdre les États temporels du Saint-Siège, et qu'il y réussira
J'ai signé un traité avec l'Électeur archichancelier par lequel vous êtes nommé son coadjuteur. C'est encore un secret, mais il est probable qu'avant un mois ce sera une affaire finie. Ainsi vous vous trouverez appelé à une nouvelle carrière, car la dignité de primat de Germanie vous met à la tête du Collège des électeurs.
Si vous restez à Rome, laissez faire à Alquier tout ce qui sera odieux, et restez neutre. Je ne veux pas prendre les États temporels du Pape, mais je veux des satisfactions pour la menace qu'on m'a faite à Austerlitz de chasser mon ministre de Rome.
Saint-Cloud, 16 mai 1806
A l'archevêque de Ratisbonne, électeur archichancelier de l'empire d'Allemagne (Charles baron de Dalberg)
J'ai reçu votre lettre du 17 février, avec l'ouvrage qui y était joint. Je vous remercie de ce que vous me dites d'aimable. Allant un soir faire une partie de chasse à Rambouillet, je l'emporterai dans ma voiture pour le lire. J'y reconnaîtrai le bon goût et les lumières qui rendent votre société si intéressante et qui m'ont inspiré tant d'estime. Ne doutez jamais de l'intérêt que je porte à vous et aux vôtres.
Saint-Cloud, 16 mai 1806
Au prince Eugène
Mon Fils, je vous instruis que la cour de Pétersbourg vient de donner ordre que les bouches de Cattaro fussent remises à mes troupes. Faites mettre cette nouvelle dans les gazettes d'Italie, et informez-en le général Lauriston et le général Molitor par un courrier extraordinaire.
Mon intention est que le général Lauriston commande à Cattaro et à Raguse.
Saint-Cloud, 16 mai 1806
Au prince Eugène
Mon Fils, le général Lemarois doit être rendu à Ancône; je lui ai donné le commandement des troupes qui sont dans les Etats du Pape; il est sous vos ordres. Ainsi le bataillon suisse et le bataillon
du régiment de la Tour d'Auvergne qui sont à Ancône font partie votre armée, et vous devez les comprendre dans vos états de situation.
J'ai vu avec plaisir la petite affaire de la corvettela Commachiese.Il faut tenir vos trois frégates toujours prêtes à partir, mais ne jamais les faire sortir, à moins que ce ne soit pour croiser à l'entrée du port de Venise et contre des forces très-inférieures. Je ne vois pas d'inconvénient à ce que vous autorisiez la sortie d'une bonne flottille de chaloupes canonnières pour protéger les îles d'Istrie et de Dalmatie. Si une corvette venait insulter le port de Venise, vous pourriez faire sortir deux frégates après.
Faites-moi connaître vos moyens en chaloupes canonnières autres petits bâtiments. Tout me porte à penser que les Russes retireront bientôt de l'Adriatique; et je désirerais qu'une portion ces bâtiments pût se rendre à Tarente pour aider à la descente Sicile.
Saint-Cloud, 16 mai 1806
Au roi de Naples
Mon. Frère, je reçois votre lettre de Tarente du 4 mai. Je suis surpris qu'il n'y ait pas à Tarente les affûts nécessaires; le général Saint-Cyr avait été chargé de les entretenir; son absence a été très courte pour qu'ils aient pu être détruits dans cet intervalle, à moins qu'on ne les ait détruits exprès.
Je ne crois pas que le colonel Gentili soit dans le cas d'organiser votre gendarmerie; c'est une organisation à part, qui n'existe dans aucun pays de l'Europe. Il m'a fallu beaucoup de peine pour la monter dans le royaume d'Italie, où elle commence à marcher. C'est la manière la plus efficace de maintenir la tranquillité d'un pays, c'est une surveillance moitié civile, moitié militaire, répandue sur toute la surface, qui donne les rapports les plus précis. Ne croyez pas avec quelques piquets, quelques détachements mobiles, comme vous avez vu la gendarmerie de Corse, obtenir ces résultats; il faut des détachements stationnaires qui apprennent à connaître les localités et les individus. Le seul inconvénient est que cela coûte un peu cher; mais vous avez beaucoup de pays de montagne; vous avez besoin de gendarmerie à pied plus que de gendarmerie à cheval. Elle ne doit pas vous coûter plus de 800,000 francs ou un million par an. Elle sera bientôt composée. Ne découragez pas trop Radet. Empêchez-le de trop publier; cependant il faut quelques circulaires et quelques embarras. Au reste, c'est à vous à le faire marcher plus lentement et comme vous l'entendrez. Si, en dernière analyse, vous n'étiez pas content de Radet, renvoyez-le-moi; je vous le remplacerai par le général de gendarmerie Bucquet, qui organise la gendarmerie de Gênes, de Parme, et que vous avez vu à Boulogne. C'est un homme doux et qui connaît à fond le système de la gendarmerie.
La Russie se rapproche de moi; elle vient de donner l'ordre de me remettre les bouches de Cattaro, et je pense que l'escadre russe évacuera bientôt l'Adriatique.
Je ne sais point les mesures que vous avez prises pour le placement de vos troupes dans le royaume de Naples. Vous devez avoir de la difficulté à les nourrir. Si cela est, vous savez que je vous ai donné l'autorisation de m'en renvoyer.
Saint-Cloud, 17 mai 1806
A la princesse Élisa
Ma Sœur, j'ai reçu vos lettres. N'exigez aucun serment des prêtres; cela n'aboutit à rien qu'à faire naître des difficultés. Allez votre train; supprimez les couvents. Du reste, marchez prudemment et ne vous aliénez pas l'esprit de vos peuples.
Une estafette part tous les jours de Naples et de Milan. Arrangez-vous pour que vos paquets me parviennent par ce canal, en les envoyant directement au lieu le plus près de vous où passe l'estafette.
Saint-Cloud, 17 mai 1806
Au général Mouton, à l'île d'Aix
Je reçois votre rapport du 13 mai. Envoyez-moi un état de situation des 66e et 82e, compagnie par compagnie, ainsi que de la légion du Midi, du bataillon colonial et du bataillon du 26e. Faites-moi connaître les hommes et l'état de situation de l'armement, de l'habillement et des masses, afin que j'aie une idée très-claire de la situation de ces bataillons.
Les soldats du 93e qui sont à bord de l'escadre vont être bientôt relevés.
Je donne ordre à un commissaire des guerres de se rendre dans ces îles. Un capitaine du génie doit y être rendu. Je lui fais envoyer 30,000 francs. Comme cela pourra souffrir quelques jours de retard vous lui direz qu'il peut toujours commencer.
Faites-moi connaître la situation de l'équipage de campagne à l'île d'Aix. Vos rapports ne me donnent pas des idées claires. Restez jusqu'à nouvel ordre dans l'île d'Aix; faites manœuvrer les troupes qui s'y trouvent. Mon intention est que vous ne quittiez l'île que lorsqu'il y aura des troupes suffisantes pour repousser 15,000 Anglais, s'ils se présentaient. Je sais que ce sont de jeunes soldats que vous avez mais, lorsqu'on a de vieux officiers et de vieux sous-officiers et des soldats de dix-huit mois ou deux ans de service, on peut se battre. Faites-leur faire l'exercice à feu deux fois par semaine.
Vous auriez pu écrire vous-même au directeur du génie pour qu'il se rendît sur les lieux et commençât sur-le-champ les travaux les plus nécessaires.
Indépendamment des états que je vous demande sur l'artillerie, envoyez-moi l'état des pièces qui arment la batterie des Saumonards, qui indique de quelles espèces elles sont, et s'il y a beaucoup de
mortiers à longue portée. Il n'y a pas de mal qu'on essaye de différents exercices. Invitez le directeur de l'artillerie à vous envoyer quelques affûts de plus.
Voici les dispositions que j'ai prescrites pour la défense de l'île d'Aix:
Il y aura un bataillon du 82e, qui est à Napoléon, fort de 800 hommes; tout le 66e, fort de 1,200 hommes; le 3e bataillon du 26e, fort de 800 hommes; les deux bataillons de la légion du Midi, 1,000 hommes; deux compagnies du 3e d'artillerie, de 160 hommes; la compagnie de canonniers piémontais et la compagnie de canonniers vétérans, faisant près de 100 hommes : total : 4,060 hommes.
Il doit y avoir un général de brigade et ses aides de camp, un chef de bataillon d'artillerie, deux capitaines, quatre lieutenant tous d'artillerie, sans y comprendre les officiers des compagnies, un commissaire des guerres, trois officiers du génie, dont un capitaine. Il doit y avoir pour un mois de vivres. Aucun officier ne doit découcher de l'île, sous quelque prétexte que ce soit. Tout ce qu'il y dans l'île aura le traitement du pied de guerre. Comme ce petit camp reste là tout l'été, voyez s'il ne serait pas convenable de faire baraquer et prendre une position centrale dans l'île, pour y asseoir ce camp. Si vous n'avez pas de baraques, demandez des tentes.
Mon intention est que vous voyiez si tout est parfaitement organisé, que vous en preniez le plan et que vous puissiez me rendre compte de tout. Voyez si le général Dufresse qui s'y trouve parait avoir l'activité et les moyens nécessaires pour être chargé de la défense.
Que deux fois par semaine les troupes réunies fassent les mouvements de ligne, s'exercent à tirer à la cible, etc. Des récompenses seront données par la caisse des corps aux meilleurs tireurs , et je les ferai rembourser. Mettez tout cela en train. Visitez avec la plus grande attention la légion du Midi. J'ai fait donner l'ordre au colonel de s'y rendre. Passez-en une revue, compagnie par compagnie, bataillon par bataillon. Entrez dans les plus grands détails, de manière que vous puissiez m'instruire des abus qui existent dans ce corps. Faites connaître aux grenadiers du 66e que je leur ai accordé des bonnets de grenadiers.
Quand ce petit camp sera réuni, inspectez-le en détail, afin que je puisse être certain non-seulement que l'île sera bien défendue, mais même que, si je veux les embarquer, ils puissent s'embarquer du soir au matin.
J'ai donné ordre à un bataillon de 800 hommes du 112e, qui se rend à Bordeaux, de remplacer le 66e à Oléron. Pendant votre séjour à l'île d'Aix, vous pourrez visiter en grand détail les îles de Ré et d'Oléron.
Saint-Cloud, 17 mai 1806
Au vice-amiral Decrès
Monsieur Decrès, l'hôpital qui est à l'île d'Aix a besoin de réparations. Il faudrait en planchéier les salles pour que les malades ne marchassent point sur la terre humide. Il serait nécessaire d'établir aussi un petit corps de garde à l'entrée de cet hospice. Faites-lui donner les fournitures dont il a besoin; il n'est pas ce qu'il devrait être.
Il paraît qu'on demande, dans l'escadre de Rochefort, de faire peindre les bâtiments, et que les règlements ne sont pas exécutés dans cette partie. Tâchez de faire activer la mise à la mer de l'Ajax.
Saint-Cloud, 11 mai 1806
Au vice-amiral Decrès
Monsieur Decrès, faites-moi connaître le jour où l'expédition doit se réunir à Toulon sera prête à partir. Je désire que vous présentiez des projets d'expéditions à faire pour ravitailler la Martinique, la Guadeloupe et l'île de France, et de croisières à établir, pour inquiéter le commerce ennemi. Toutes ces expéditions devraient être prêtes à partir avant le mois d'août, avoir leurs instructions cachetées et être en rade, sans communication avec la terre de manière qu'aux premiers jours de septembre tout puisse parti. Je désire que vous me fassiez un plan là-dessus conforme à nos moyens. .
Il faudrait faire partir dix bonnes croisières, qui couvriraient toutes les mers.
Trois croisières pourraient partir de Cadix, deux composée deux vaisseaux chacune, et une composée d'un vaisseau et d'une frégate.
On ferait partir de Brest deux croisières, l'une de deux vaisseaux, l'autre d'un vaisseau et de cinq frégates.
On ferait partir de Lorient une croisière d'un vaisseau et de deux frégates.
On ferait partir de Rochefort trois croisières composées en tout de quatre vaisseaux et de cinq frégates;
De Cherbourg, une croisière de deux frégates.
On ferait partir en outre des bricks de tous les ports pour croiser. Il faudrait adopter, pour ces dix croisières , un système vaste et nouveau. Il ne faudrait plus aller reconnaître ni la Martinique ni la Guadeloupe, mais attaquer le commerce ennemi dans ses communications avec les côtes de l'Amérique espagnole, du Brésil, du continent de l'Amérique. Une seule croisière serait destinée à porter des troupes à la Martinique et à la Guadeloupe, et une serait destinée pour les Grandes Indes, où il serait nécessaire d'envoyer au moins deux frégates.
Saint-Cloud, 17 mai 1806
Au prince Eugène
Mon Fils, j'approuve que vous ayez annulé la nomination de MM. Rosetti et Gherardi. Un banqueroutier ni un homme déshonoré ne seront jamais de mon choix.
Saint-Cloud, 19 mai 1806
A M. Mollien
Monsieur Mollien, j'ai attaché sept auditeurs aux ministères des finances et du trésor public, et à la section des finances. Je désire que vous chargiez spécialement trois d'entre eux d'accompagner les vérificateurs du trésor public qui ont le plus de talent, afin que ces jeunes gens apprennent, en suivant ces opérations, à pénétrer dans le labyrinthe de la comptabilité.
Saint-Cloud, 19 mai 1806
Au roi de Naples
Mon Frère, je reçois votre lettre du 8 mai. Je vois avec plaisir que vous êtes content de l'esprit des Napolitains. Ne faites pas commencer le feu du siège de Gaète que vous n'ayez beaucoup de pièces en batterie et que vous n'ayez réuni au parc un grand nombre de munitions. Quoi qu'on puisse vous dire, ne croyez pas que l'on se batte à coups de canon comme à coups de poing. Une fois le feu commencé, le moindre manquement de munitions pendant l'action rend inutile ce qu'on avait fait d'abord. Vous n'aurez Gaète qu'avec un siège en règle. Deux affûts par pièce ne sont pas trop. Il vous faut une grande quantité de sacs à terre, de fascines, de saucissons préparés d'avance. Au moment où le feu commencera, qu'il y ait 9 à 10,000 hommes d'infanterie devant la place, pour pouvoir suffire aux tranchées et aux assauts. Établissez des batteries de mortiers et de boulets rouges pour éloigner les vaisseaux. Rien de tout cela ne doit commencer à tirer qu'au dernier moment. Il faut que , pendant douze jours que doit durer le siège de Gaète, le feu aille toujours croissant. En attendant, il faut y avoir un bon commandant et au moins 5 ou 6,000 hommes, partie Français, partie Italiens. Il faut élever les batteries, construire des places d'armes, pour être à l'abri des redoutes, pour s'opposer aux sorties; enfin réunir tous les moyens. Désormais rien ne vous presse pour prendre Gaète; l'Europe est et sera tranquille. Il y a peu de Russes à Corfou; la moitié même est déjà arrivée en Crimée. Les 2 ou 3,000 hommes que les Anglais pourront envoyer à Gaète ne seront pas en Sicile.
Dans la situation actuelle de l'Europe, où la guerre n'est pas à craindre, la Sicile est tout, et Gaète n'est rien; quand j'entends rien, pour ces deux mois : il faut l'avoir avant le mois de septembre; jusque là rien n'est à craindre; et, si d'ici là vous pouvez entrer en Sicile , les vaisseaux de guerre et bâtiments de toute espèce qu'il y aura devant Gaète, on ne les aura pas en Sicile, et c'est là le grand point. Ce qui est aussi très-important pour vos opérations, c'est d'être maître de Cività-Vecchia et de toute la côte jusqu'à Piombino. Je vous ai écrit d'y envoyer un régiment d'infanterie, un de cavalerie et un général. Il parait que vous aimez à garder toutes vos troupes. Vous avez certainement trop de cavalerie. Dans le doute de ce vous ferez, j'ai ordonné qu'on envoyât à Cività-Vecchia un bataillon suisse qui est à Ancône. Un bataillon du régiment de la Tour d'Auvergne doit être à Ancône. Le général Lemarois doit y être arrivé; il a besoin d'un régiment de cavalerie; j'imagine que vous le lui avez envoyé. Il faut boucher hermétiquement toute la côte d'Italie aux Anglais et à toute communication avec Corfou. Ordonnez au général qui commande devant Gaète de n'avoir aucun parlementaire avec Sidney Smith; c'est un bavard et un intrigant qui ne cherche qu'à tromper.
Si vous ne chargez pas Masséna de l'expédition de Sicile, envoyez-le à Gaète, et qu'il y demeure de sa personne. Jourdan a l'activité et la prudence nécessaires pour garder Naples et les côtes environnantes. Reynier est tout aussi capable que tout autre de prendre la Sicile. Je ne saurais trop vous recommander d'avoir beaucoup d'officiers d'artillerie et du génie. Ne faites pas commencer le siège de Gaète que vous n'ayez des pièces, des affûts, des munitions, des gabions, des outils, des sacs à terre, etc., et 10,000 hommes d'infanterie; sans cela on aura l'opinion d'un échec, on retardera prise de la place, et on consommera des munitions précieuses. Quand vous en serez là, on pourra tirer du château Saint-Ange, d'Ancône, etc., de la poudre et tout ce qui est nécessaire pour augmenter vos moyens. Quant à moi, je pense qu'il eût été possible de prendre Gaète il y a deux mois. Dans la situation des choses peut-être vaut-il mieux qu'elle ne soit pas prise, si vous entrevoyez le moment de bientôt entrer en Sicile. Que Gaète ne diminue en rien vos ressources et n'affaiblisse point vos moyens pour l'expédition de Sicile. Gaète ne résistera pas à une attaque suivie, si vous ne manquez pas d'artillerie ni de munitions. Sans aucune espèce de doute, vous pouvez l'enlever en douze jours; mais, pour cela, il faut bien des milliers de poudre, bien des affûts, des gabions, des fascines, des outils et un bon nombre d'officiers du génie. Il faut, au siège de Gaète, au moins vingt officiers du génie et beaucoup d'officiers d'artillerie. Je désire bien avoir votre situation au 15 mai, votre répartition, et que vous me fassiez connaître comment vous organisez votre expédition de Sicile. Par les états de situation que j'ai , je vois qu'il n'y a que les 10e et 62e, formant moins de 3,000 hommes, devant Gaète. Je ne vois pas qu'en général il y ait là tous les moyens nécessaires pour faire les travaux préparatoires du siège. Je ne vois pas assez de compagnies d'artillerie , pas assez d'infanterie. Il faut aussi quelque cavalerie pour surveiller les côtes. Vous pouvez mieux placer votre armée, qui ne laisse pas que d'être considérable. La cavalerie pourra vous servir sur plusieurs points de la côte. J'ai toujours eu l'habitude, à Boulogne et sur toutes les côtes de la Bretagne , de la Normandie, etc., de faire exercer les chasseurs et les hussards aux manœuvres du canon, de manière qu'ils accouraient partout où il était nécessaire pour aider au service des batteries.
Il faut mettre devant Gaète un de vos principaux généraux. Je n'y vois que le général de brigade Lacour; c'est bien peu de chose. Girardon vaudrait mieux que Lacour. Il faut y mettre quatre ou cinq généraux de brigade pour commander à la tranchée et faire vraiment le service. La plus grande partie de vos officiers du génie doit être au siège de Gaète.
Malgré tout le bon esprit qui règne dans votre royaume, ne vous y fiez pas trop; n'armez pas trop de monde ; cela vous est inutile et ne peut être que dangereux. Au moindre mouvement qu'il y aurait sur le continent, cela tournerait contre vous; au lieu qu'avec une armée de 40,000 hommes, que vous avez en infanterie, cavalerie, artillerie, Français, Italiens et Polonais, vous pouvez disposer de 15,000 hommes pour l'expédition de Sicile, en mettre 9,000 devant Gaète, et vous trouver encore avec une réserve de 16,000 hommes. Il n'y a pas de jour que je n'écrive pour organiser comme il faut vos dépôts de cavalerie et d'infanterie; on m'en envoie l'état de situation tous les cinq jours, et on y porte une grande attention.
Renvoyez les généraux et officiers isolés dont vous n'avez pas besoin; gardez moins de cavalerie, si elle vous coûte trop cher; mais veillez à ce que les régiments de dragons et de chasseurs achètent des chevaux dans le royaume de Naples. Il serait malheureux que les régiments de cavalerie que j'ai là se perdissent. Tenez la main à ce qu'ils aient toujours au moins 500 chevaux; ce sera une petite dépense, et cela maintiendra ma cavalerie en haleine et en bon état. Quand on est ensuite pressé, on n'a plus le temps. J'imagine que vous avez de la cavalerie autour de Gaète, et que le service se fait bien sur toute la côte de Cività-Vecchia et de Gaète à Naples.
Mes troupes sont toujours en Allemagne, que je ne veux pas évacuer que je n'aie les bouches de Cattaro; mais un courrier parti de Saint-Pétersbourg a porté l'ordre de me les remettre; ainsi je crois que cela va bientôt finir. Si j'étais menacé de la guerre, je vous dirais : Prenez Gaète, concentrez-y tous vos moyens, et ajournez l'expédition de la Sicile. Dans ma position actuelle, je vous dit l'inverse.
Moins vous ferez attention à Sidney Smith, moins vous en parlerez, et mieux cela vaudra.
Il faudrait punir les officiers qui étaient chargés de conduire le prisonniers et les ont laissés échapper. Cette manière insouciante de servir est bien coupable.
Les affaires avec la Hollande sont arrangées, et avant peu Louis sera roi de Hollande. Il a bonne volonté, mais sa santé continue d'être médiocre.
Il paraît que l'escadre où se trouve Jérôme, qui a été aux Grandes Indes, a pris un grand convoi anglais et trois vaisseaux de guerre. Je n'ai point d'inquiétude sur cette escadre.
Vous ne me parlez point encore de l'établissement de l'estafette: j'imagine cependant qu'elle doit vous arriver.
Saint-Cloud, 20 mai 1806
A M. de Champagny
Monsieur Champagny, j'ai attaché comme auditeurs au ministère et à la section de l'intérieur MM. Stassart, Chaillou, Lafond, Mau bourg, Mounier, Pepin de Belle-Isle, Tournon, Molé, Campan et Barante. Jusqu'à ce moment, vous n'avez encore rien organisé pour leur donner du travail. Je désire que vous les employiez de manière qu'ils soient utiles et qu'ils apprennent les affaires. Vous pouvez les charger de l'instruction des mises en jugement et de diverses autres affaires spéciales qui, par leur nature, doivent être délibérées au conseil. Vous pouvez aussi leur faire faire des inspections dans les magasins, les prisons, les hospices, les maisons de force, les dépôts de mendicité. Vous pouvez leur donner des missions spéciales pour vous rendre compte de la situation des travaux qui s'exécutent sous vos ordres. A leur retour de ces voyages, ils vous rendraient compte non-seulement de l'objet fixé de leur mission, mais des observations qu'ils auraient faites dans les départements qu'ils auraient parcourus. Ainsi, sur les dix auditeurs que j'ai attachés à votre ministère et à la section de l'intérieur, six pourraient être toujours en course; quatre seraient employés à l'instruction des affaires auprès de votre ministère, donneraient à la section les renseignements qui seraient nécessaires, et y développeraient les motifs de vos propositions.
Saint-Cloud, 21 mai 1806
A M. Fouché
Les mémoires de M. de Vauban que vous m'avez remis sont assez importants; mais en les lisant on voit qu'il doit y avoir des pièces justificatives qu'il serait intéressant d'avoir.
Je désire connaître par quelle circonstance le préfet de police l'a arrêté. C'est un homme qui paraît retors et intrigant. Faites-moi connaître son âge, ses moyens d'existence et ce qu'il a fait depuis fructidor.
Saint-Cloud, 21 mai 1806
A M. de Talleyrand
Monsieur de Talleyrand, remettez-moi jeudi un rapport sur tout ce que vous a dit Franchini et sur les moyens à prendre pour soutenir notre crédit à Constantinople. Je crois que le principal est d'y envoyer fréquemment des nouvelles. Si vous n'avez pas encore expédié le courrier que vous y envoyez, faites-le partir sur-le-champ; il pourra être porteur des lettres de l'ambassadeur. J'ai besoin d'entretenir avec Constantinople de fréquentes correspondances, parce que, si les Turcs venaient à se laisser entraîner à de nouveaux torts envers moi, cela serait d'un mauvais résultat pour mes affaires de Dalmatie. Je désire donc que, si aujourd'hui votre lettre au reis-effendi n'est pas partie, elle parte sans délai; vous annoncerez le général Sebastiani, et votre courrier prendra les dépêches de ce ministre. Écrivez à Berlin qu' on envoie donc quelqu'un à Constantinople. Autorisez M. Ruffin à récompenser le gouverneur du château et l'Arménien qui a bien traité Jaubert, et les autres individus. Laissez-le maître de faire là-dessus ce qu'il voudra.
Saint-Cloud, 21 mai 1806
Au général Junot
Si vous ne vivez pas bien avec le préfet, c'est votre faute, parce que vous avez le rang supérieur, et que tout le monde connaît votre crédit auprès de moi. Je veux que vous ayez une grande prépondérance, mais je veux que vous n'en fassiez jamais usage. Vous ne devez vous en servir que pour être le plus honnête, le plus doux et le plus conciliant avec vos collaborateurs. Je ne puis admettre l'idée qu'un préfet qui a si peu de consistance que M. Nardon veuille se fermer la carrière par de mauvais procédés envers vous. L'autorité militaire est inutile et déplacée dans l'ordre civil; il ne faut donc point agir comme un caporal.
Saint-Cloud, 21 mai 1806
Au roi de Naples
Mon Frère, j'ai reçu vos lettres des 10 et 11 mai. J'avais pensé comme vous à l'ordre de Saint-Janvier; mais il faut attendre encore. Envoyez-moi une note sur son institution et sur ses devoirs. Il me paraît trop religieux. Au premier coup d'œil, je n'aime point un ordre qui se rattache aux Bourbons, ses fondateurs. Dans les institutions, il faut créer, et se mettre sur-le-champ, autant que possible, en harmonie avec le siècle. On ne peut pas entendre en Europe le nom de Saint-Janvier sans rire. Il faudrait trouver quelque chose qui imprimât le respect et que l'on fût tenté d'imiter. Les Anglais eux-mêmes veulent aujourd'hui créer chez eux quelque chose de semblable à la Légion d'honneur. Je relis votre lettre, et je ne vois pas que vous ayez de quoi vous vanter. L'ordre de Constantin, qui l'a fondé ? Quels sont ses statuts, ses privilèges ? Envoyez-m'en également la note.
J'ai déjà commencé à engager la querelle avec les Barbaresques à l'occasion de votre royaume. Un peu plus tôt, un peu plus tard, il faudra en finir avec eux. Vous avez plus de 8,000 de vos sujets entre ces deux régences. Je leur ai déjà fait distribuer des secours. Mais mon intention n'est pas de permettre que vos peuples soient esclaves des Barbaresques; avec de la patience et beaucoup de discussions, nous en viendrons à bout. En parlant de cela, ce qui est le plus populaire et le plus important pour vos peuples, c'est la défense de vos côtes contre les Barbaresques; il me semble qu'une institution qui serait fondée sur cela serait très-convenable. J'y réfléchirai ; de votre côté, rêvez-y.
Avez-vous beaucoup de biens appartenant à l'ordre de Malte ? Ce serait en faire un emploi utile que de les faire servir à délivrer ces malheureux. Il est impossible de les délivrer sans payer, puisque j'ai payé pour Gênes. A cause de l'effet rétroactif, les biens de l'ordre de Malte, donnés à un ordre de la Délivrance ou autre, seraient reportés à leur véritable institution. Cet ordre serait bien reçu chez vous et serait approuvé en Europe, où l'on se ferait honneur de le porter.
C'est dans ce cercle d'idées-là qu'il faut chercher votre institution. Mais c'est une affaire qu'il faut peser mûrement. Je vous entends dire qu'il vous faut quelque chose de religieux; mais rien ne l'est plus que la défense de la croix; et cette institution est à la fois religieuse et politique. Je vous écris sans avoir pensé. Cette idée a besoin d'être mûrie.
Saint-Cloud, 21 mai 1806
Au roi de Naples
Mon Frère, vous tenez trop de monde dans la Pouille; deux ou trois régiments de cavalerie, cinq pièces d'artillerie et 2,500 à 3,000 hommes, Italiens ou Polonais, sont plus que suffisants dans la Pouille, sur la côte de l'Adriatique. Pour garder les côtes, c'est surtout de la cavalerie et de l'artillerie de campagne qu'il faut. A Pescara, 2 ou 300 hommes suffisent. Tenez 6 à 7,000 hommes à portée de Gaète avec de la cavalerie et de l'artillerie de campagne. Le moindre échec que vous essuieriez devant cette place, par une sortie de l'ennemi qui comblerait vos ouvrages, vous ferait perdre un mois de travail, peut-être même quelques pièces de siège, et donnerait aux ennemis une réputation qui serait funeste. Mettez le maréchal Masséna devant Gaète; donnez-lui 7,000 hommes, et que les travaux du siège continuent. Qu'est-ce que le maréchal Masséna a besoin de faire à Naples ?
Saint-Cloud, 21 mai 1806
Au roi de Naples
Vous ne m'envoyez pas les noms du gouverneur du village qui a marché au secours des 300 hommes du 6e régiment, non plus que du capitaine de ce régiment qui a arraché l'étendard que les rebelles avaient arboré au haut d'un clocher.
Les nouvelles que j'ai de Russie sont que, pour faire la paix, les Russes abandonneront la reine de Naples. La Prusse est en guerre avec la Suède et l'Angleterre. Les bouches de Cattaro doivent bientôt m'être remises. Huit ou dix croisières que j'ai dans les différentes mers font un tort affreux au commerce anglais.
Saint-Cloud, 23 mai 1806
Au général Dejean
Monsieur Dejean, voici quelques observations sur votre second rapport relatif à Venloo :
J'approuve les travaux,
1° Pour les curements des fossés . . . . . . . 30,000 francs.
2° Pour les réparations des batardeaux . . . . 60,000
3° Pour l'exhaussement des escarpes et contres-
carpes du fort Ginkel . . . . . . . . . . . . . 60,000
Total . . . . . . . 150,000
Les autres 150,000 restant des fonds accordés pour la place de Venloo, je veux les dépenser au fort Saint-Michel. Je considère le fort Saint-Michel sous deux points de vue : comme nécessaire au complément de la place de Venloo, puisqu'il oblige l'ennemi à avoir deux ponts sur la rivière et un grand cercle pour la bloquer; que la rivière est guéable et très-peu large en été, et que tous les ouvrages seraient pris à revers si l'ennemi pouvait s'établir à sa volonté. Sous ce point de vue, on doit donc l'occuper. On ne voudrait pas perdre l'avantage de l'avoir, indépendamment de la ville. Si l'ennemi attaque par le fort Saint-Michel, la place reste intacte et peut se défendre longtemps. Si, au contraire, il attaque par le fort Ginkel et néglige le fort Saint-Michel, ce dernier devient un fort à part qui peut prolonger la défense de cinq à six jours, et qui doit d'autant plus être considéré qu'il est situé de notre côté. Il paraîtrait que, dans ce projet, il faudrait achever le pentagone et se procurer, en revêtissant (sic)quelques souterrains sous ses bastions.
Aux considérations qui ont été données pour fermer le fort Saint-Michel à la gorge, en le rendant un fort indépendant de la place, il faut ajouter que, si la garnison de Venloo était faible et ne pouvait mettre dans le fort Saint-Michel que 300 hommes, elle devrait pouvoir le faire en toute sécurité; le fossé de la gorge réduit le développement du fort de 300 toises , c'est-à-dire de près de moitié, ce fort n'en ayant guère que 1100 de développement. J'approuve, du reste, que le chemin couvert soit prolongé jusqu'aux ouvrages l et g, et qu'on supprime le couvert que pourrait fournir à l'ennemi l'enveloppe en terre du chemin couvert , en prolongeant la pente des glacis.
En revêtissant (sic) le fort Saint-Michel, on ne voudrait pas se jeter dans des dépenses folles. Il faudrait calculer les revêtements de manière à n'y employer que 6 à 700,000 francs, et employer 2 ou 300,000 francs pour un magasin à poudre, une salle d'artifice, une petite manutention et un petit hôpital.
Comme dans le million qu'on avait destiné pour Venloo on n'avait destiné que 500,000 francs au fort Saint-Michel, auquel on ne voulait pas alors donner la double propriété qu'il a actuellement, cela portera la dépense de Venloo à 1,500,000 francs, en y comprenant le fort Saint-Michel. Il faut organiser les travaux de manière à les terminer en cinq ans, à raison de 300,000 francs par an.
Cette année, on rétablira le fossé du front qui fermait le fort à la gorge, et on fondera les escarpes en commençant par les bastions et fronts d'attaque 3-4-5.
Saint-Cloud, 23 mai 1806
Au général Dejean
Monsieur Dejean, voici quelques observations sur votre quatrième rapport de Kehl.
TITRE Ier
1° J'adopte le tracé A, B, C, D, E, F du premier projet du génie; mais mon intention est qu'il ne soit fait cette année aucun changement aux ouvrages de campagne, et que ces tracés soient successivement réduits au projet adopté; de sorte que, si on avait un intérêt quelconque à se maintenir sur la rive droite du Rhin et qu'on eût des forces suffisantes, on pût, dans les ouvrages A, B, C, D, E, F, épuiser tous les efforts de l'ennemi, et soutenir un siège long dans des positions et des tracés qui paraissent avantageux.
2° Dans cette hypothèse-là même, on croit qu'aux ouvrages détachés A, B, C, D, E, F, il faut un réduit fermé commun à tous ces ouvrages, où la garnison puisse être en repos et où on puisse tenir encore, ces ouvrages-là pris; et, pour cet objet, on adopte la tracé de l'ancien fort 23-26, lequel sera revêtu avec contrescarpe; de sorte que, dans le système des ouvrages A, B, C, D, E, F, il faille encore, pour arriver au pont, prendre l'ouvrage 23-26 avant d'être maître de la rive droite. Cet ouvrage est donc destiné à remplir, dans cette première hypothèse, le but d'une citadelle après la prise de la ville, et le but d'une ville par rapport aux ouvrages détachés.
3° Cela n'est pas suffisant : les ouvrages C, D, E, F, qui doivent toujours être en terre, doivent recevoir un grand accroissement de défense de l'inondation de la Kinzig. Dans l'ouvrage D, en forme de réduit, il y aura une flèche en avant du bastion 23, qui couvrira un pont éclusé sur la Kinzig. Cette flèche sera revêtue ainsi que la contrescarpe, et ses feux domineront l'ouvrage D, dans le même temps qu'elle sera commandée par le bastion 23.
TITRE II
Tous les ouvrages de la rive droite doivent être considérés dans une seconde hypothèse : c'est qu'on ne veuille y laisser que 3 ou 400 hommes et négliger les ouvrages A, B, C, D, E, F. Dans ce cas, les ouvrages 23-26 et la flèche de l'ouvrage D seront seuls occupés. Par ce moyen, l'inondation de la Kinzig sera tendue. Il est vrai que ce petit nombre d'hommes ne pourra empêcher l'ennemi de s'établir dans un point d'où il détruira le pont; mais, du moins, le passage du Rhin et de la Kinzig seront assurés jusqu'à ce que le fort ait été pris; et, pour peu qu'on ait des forces un peu plus considérables, on pourra occuper les ouvrages A, B, C , D, E, F, couverts par l'inondation de la Kinzig, d'autant plus qu'on aura toujours la retraite assurée dans le fort.
ORDRE DES TRAVAUX
On construira cette année le pont éclusé sur la Kinzig et la flèche ou réduit de l'ouvrage D, et les contrescarpes et escarpes du fort 24-23-26, de manière que, l'année prochaine, ce fort et l'ouvrage D puissent être entièrement achevés, et que cet ouvrage, avec la caserne qu'on établira, n'excède pas 800,000 francs, comme cela est possible, puisque le développement de ce fort est le même que celui qui est proposé dans un des projets du génie.
On a ordonné que le pont sur pilotis commencé par les ponts et chaussées fût achevé, parce que le tiers en est déjà fait, et qu'en temps de guerre on établira des ponts sur radeaux et sur bateaux.
Saint-Cloud, 23 mai 1806
DÉCISION
Le ministre directeur de l'administration de la guerre propose, sur la demande du ministre de la marine, d'augmenter la garnison de Flessingue, afin de disposer de quatre cents travailleurs militaires pour les travaux de ce port. | Il est impossible de mettre des Français dans Flessingue. L'air y est trop mauvais. |
Saint-Cloud, 23 mai 1806
Au vice-amiral Decrès
Faites mettre dans le Moniteur un article sur l'affaire dela Minerve, et faites-la bien expliquer, pour servir d'instruction à nos marins. Les canonniers de la marine ne sont pas exercés. L'opinion de tout le monde est qu'ils devraient être exercés à tirer en rade sur une vieille coque de bâtiment. C'est un exercice que je ne cesse de recommander et qu'on n'exécute pas. Si tous les bâtiments qui sont à l'île d'Aix, à Brest, à Toulon, avaient une vieille chaloupe qui leur servit à faire l'exercice à boulets, dans tous les temps, même dans les gros temps, les marins y gagneraient beaucoup. La marine ne sait que se plaindre de ce que l'expérience manque à ses marins, sans se donner la peine de les exercer. Mon intention est que vous donniez des ordres positifs là-dessus dans toutes les rades, même dans celle de Cadix.
Saint-Cloud, 24 mai 1806
A M. de Champagny
Monsieur de Champagny, je désire que vous chargiez trois auditeurs de se rendre, l'un dans les 3e et 5e divisions militaires, l'autre dans les 16e et 24e, et le troisième dans les 25e et 26e. Ils verront les commissaires ordonnateurs, les préfets et même les sous-préfets. Ils recueilleront toutes les plaintes qu'on serait dans le cas de former au sujet des réquisitions pour services militaires qui n'auraient pas été payées. On a fait des réquisitions de grains, de fourrages, de transports; une partie devait être payée par les ordonnateurs, une partie devait l'être par les fournisseurs. Ces auditeurs auront soin d'entrer dans tous les détails propres à faire connaître ce qu'on requis, ce qu'on a payé, ce qui reste à payer, ce qui aurait dû l'être par les ordonnateurs, ce qui aurait dû l'être par les fournisseurs, et les motifs du défaut de payement. Ils ne manqueront pas de s'informer du prix auquel les denrées se vendaient dans les marchés, et de le comparer au prix que l'on a donné des denrées de réquisition. Il convient que les particuliers n'aient rien perdu , mais il convient aussi que l'État n'ait pas été grevé.
Saint-Cloud, 24 mai 1806
A M. Mollien
Monsieur Mollien, le prince Eugène m'écrit, en date du 18 mai que, sur les 2,500,000 francs que doit payer le trésor italien pour le mois de mai, il n'est arrivé de traites que pour 750,000 francs pour la solde, et que, pour payer la masse, l'habillement, le pain, la soupe, la masse de compagnie, cette somme n'est pas assez considérable; que l'ordonnateur n'a reçu encore que 160,000 francs, que cette somme n'est pas non plus assez considérable. Pour cette dernière partie, j'écris au ministre Dejean. Faites-moi connaître combien se montent, pour le mois de mai, la solde proprement dite et les masses qui se payent comme solde, et pourquoi vous n'envoyez pas des lettres de change qui mettent le trésor d'Italie à même de verser cette somme dans la caisse de l'armée.
Saint-Cloud, 24 mai 1806
A M. de Talleyrand
Monsieur Talleyrand, vous remettrez la note ci-jointe au cardinal Caprara, qui l'enverra à sa cour par un courrier extraordinaire.
Le soussigné, ministre des relations extérieures , est chargé de mettre sous les yeux de S. Ém. le cardinal Caprara, légat du Saint- Siège, les nouveaux griefs de l'Empereur contre les ministres de Rome.
Sa Majesté a fait publier dans la principauté de Lucques le concordat d'Italie; car les principes de la religion sont immuables, et ce qui peut produire le salut des âmes à Bologne peut aussi le produire à Lucques. D'ailleurs, lorsque Sa Majesté a promulgué le concordat français à Gênes et à Parme, elle n'a éprouvé ni dû éprouver aucune difficulté, parce que ces pays, régis par les lois du même empire, ont dû être régis par les mêmes principes. Lorsque les États de Venise ont fait partie du royaume d'Italie, et que la principauté de Lucques est devenue partie du même royaume, il a bien fallu y publier les mêmes lois. L'ordre en a été donné à Paris et a été connu de la cour de Rome. Cependant, si elle avait des représentations à faire, elle devait les faire à l'Empereur. Au lieu de cela, elle donne un bref plein de sentences séditieuses et propres à exciter les peuples à la révolte contre le souverain. Il se peut qu'elle parvienne par ce moyen à faire couler le sang et à remplir de troubles la malheureuse principauté de Lucques; mais les ordres de l'Empereur seront suivis, et ceux qui auront prêché la sédition et la rébellion contre le prince légitime en seront responsables devant Dieu et devant l'Empereur.
Sa Majesté reconnaît dans cette conduite inconsidérée l'esprit qui dirige aujourd'hui la cour de Rome. Prétendent-ils faire une chose utile à la religion , ceux qui lui conseillent d'aliéner et d'aigrir le prince le plus puissant de la chrétienté ? Suivent-ils les impulsions des hérétiques et des Anglais, ceux qui sèment le trouble au sein des peuples paisibles, et qui, au lieu de s'adresser au souverain prêchent aux peuples la révolte et la sédition ? Quel esprit de vertige s'est emparé des conseils du Saint-Siège ? Depuis quand a-t-il oublié que sa politique fut de marcher d'accord avec les grands souverains et surtout les souverains de France, que la cour de Rome ne s'est écartée de cette marche que sous des rois faibles, ignorants ? Prendrait-elle l'Empereur pour un prince faible et ignorant ? Ce n'est point la morale que prêche l'Évangile ni l'exemple qu'a laissé Jésus-Christ, que semer le désordre, provoquer l'insurrection et troubler la tranquillité des États. S. M. l'Empereur déclare que les affaires de Lucques sont faites par son ordre, et qu'il regardera toute correspondance de la cour de Rome avec ses États d'Italie et de Lucques, qui ne lui serait pas communiquée, comme un exemple de rébellion qu'elle donnerait aux peuples. Par les sentiments que Sa Majesté porte personnellement au Pape, et par son respect pour la religion, elle désire que la conduite que la cour de Rome a tenue avec l'Empereur, dans le temps où on le croyait écrasé par la coalition alors existante, et pour faire la cour aux princes grecs et anglicans, change enfin aujourd'hui, et que cette cour renonce à ses projets chimériques; que le Saint-Père chasse ces brouillons qui veulent convertir le plus beau et le plus saint des pontificats en un pontificat d'anarchie, de désordre et de malheurs pour les peuples. Le bien de la religion n'a jamais résulté que de l'accord des princes temporels avec les papes; et c'est de cet accord que les princes chrétiens ont reconnu dans les papes l'autorité de l'Église générale.
Mais pour cela il ne faut pas d'idées temporelles, ni qu'il y ait à Rome des hommes assez insensés pour s'aliéner les princes qui sont les véritables soutiens de la religion.
Saint-Cloud, 24 mai 1806
A la princesse Élisa
Ma Sœur, je reçois votre lettre. Le bref du Pape n'est rien, tant qu'il restera secret dans vos mains. Ne perdez pas un moment, une heure, pour réunir tous les biens des couvents au domaine. Chargez mon ministre de se rendre chez l'archevêque : il lui dira que je suis instruit de ce qui se passe; que ce ne sera pas le concordat de mon royaume d'Italie, mais celui de France, que je ferai publier dans la principauté de Lucques; que non-seulement on s'emparera des biens des moines, mais encore de ceux du clergé séculier, et qu'on le mettra à la pension. Si l'on ne se prête pas de bonne grâce, et s'il y a le moindre désordre, je ferai avancer une division française. N'exigez aucun serment des prêtres. Ne vous mêlez dans aucun dogme. Emparez-vous des biens des moines, c'est là le principal; laissez courir le reste. Faites agir mon ministre secrètement, comme vous l'entendrez. Je prends le parti d'écrire à l'archevêque; vous chargerez mon ministre de lui porter ma lettre.
Vous répondrez en votre nom la lettre ci-jointe au Pape.
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Tout bien pensé, je n'enverrai pas aujourd'hui la lettre à l'archevêque; faites-lui parler.
ANNEXE
A S. S. LE PAPE
Très-Saint Père, j'ai reçu la lettre de Votre Sainteté. Je l'ai envoyée à l'Empereur, mon auguste frère et souverain. Je prie Votre Sainteté de s'entendre avec lui. Il ne m'appartient pas de remarquer qu'il y a dans le bref de Votre Sainteté des choses contraires à l'autorité des princes. Tout ce qui est spirituel lui est soumis; mais elle ne veut pas attaquer le temporel. Je la supplie de ne rien faire qui tende à prêcher la révolte et la sédition à mes sujets. Cet exemple, elle ne le trouvera pas dans la vie de Notre-Seigneur Jésus-Christ ni des saints apôtres; et, s'il arrivait du désordre dans mes États et que le sang humain y fût répandu, le cœur paternel de Votre Sainteté en gémirait. L'Église prêche la paix et non la guerre, la soumission et non la révolte. J'obéis aux décrets de mon Empereur comme j'obéirai à tous ceux qu'il me dictera. Que Votre Sainteté veuille bien m'adresser à lui et ne doute jamais de mes sentiments respectueux.
DEUXIÈME ANNEXE
A L'ARCHEVÊQUE DE LUCQUES
Monsieur l'Archevêque de Lucques, j'ai pris connaissance du bref de Sa Sainteté. Il me paraît qu'on veut susciter des troubles dans la principauté de Lucques et exciter les peuples à la mutinerie et à la révolte contre l'autorité légitime. Mais l'État de Lucques est sous ma protection immédiate. Massa-Carrara, qui fait partie de cet État est soumis au concordat, et les lois de notre sainte religion, qui font que les habitants de Massa-Carrara sont soumis au concordat, ne peuvent faire que la principauté de Lucques n'y soit pas soumise. Monsieur l'Archevêque, des insensés ennemis de votre patrie peuvent vouloir y semer le trouble et la division; mais souvenez-vous que notre sainte religion veut qu'on obéisse aux souverains; que la révolte est le premier des crimes, et que la mutinerie ou l'esprit de vertige qui conduirait la population à des excès retomberait sur ceux qui auraient méconnu l'esprit de leur état et transgressé ce premier principe de notre religion consacré par la conduite constante de notre Sauveur et des saints apôtres. Pourquoi la cour de Rome, si elle a des remontrances à faire, ne s'adresse-t-elle pas à moi ? Je le répète, le clergé séculier est nécessaire pour administrer les sacrements institués par Notre-Seigneur Jésus-Christ. Les moines sont de trop; leur suppression est devenue nécessaire au bien de l'État, dont ils possèdent une trop grande partie de territoire. Ce que j'ai fait pour mon royaume d'Italie, pour Gênes, pour Venise, doit être fait aussi pour Lucques. Je connais vos vertus; j'attends de votre sagesse que vous n'écoutiez point la voix des intrigants qui voudraient susciter des désordres dans votre patrie, et que, dans cette circonstance, vous serez le premier à donner l'exemple de l'obéissance. S'il en était autrement, vous m'obligeriez à envoyer une division française à Lucques, à incorporer cette principauté dans mon royaume d'Italie et à la traiter en pays conquis, à en rappeler ma sœur, et à y établir non le concordat de mon royaume d'Italie, mais le concordat de France. Le prince de Lucques ne se refusera à aucun des moyens qui peuvent concilier les principes généraux de mon empire avec le respect qui est dû au Saint-Siège; mais le Saint-Siège doit aussi respecter l'autorité qui a été établie par Dieu. Il doit, à l'exemple des plus saints prélats, marcher de concert avec les princes de la chrétienté, ne point se laisser séduire par les intrigues des hérétiques et des Anglais, et ne point méconnaître le bien que j'ai fait à la religion, en prenant à tâche de contrarier toutes mes vues. Je sais que le Saint-Père est un saint homme. Il veut le bien; mais il est entouré d'hommes qui se réjouiraient de voir le sang couler, et pour lesquels les séditions et les malheurs qui arriveraient dans votre patrie seraient un spectacle bien doux. Les insensés ! ils ne veulent pas voir que le sang qu'ils feraient couler retomberait sur eux. Conduisez-vous de manière à ne mériter aucun reproche de ma part.
Sur ce, je prie Dieu, Monsieur l'Archevêque de Lucques, qu'il vous ait en sa sainte et digne garde.
(Il ne parait pas que cette lettre ait été envoyée.)
Saint-Cloud, 24 mai 1806
Au prince Eugène
Mon Fils, je reçois votre lettre du 19 mai. Je suis affligé de voir que, malgré les sommes que vous avez retirées et les moyens extraordinaires que je vous ai donnés depuis le mois de janvier, vous n'ayez pas soldé le service de ces quatre mois. L'administration d'Italie me paraît un chaos. Je vous ai fait donner pour ces quatre mois, indépendamment des contributions extraordinaires et de la contribution de Venise, les 1,600,000 francs du mois d'avril. Le ministre Dejean ne donnera rien à la compagnie pendant ces quatre mois, puisque c'est à vous à la payer.
Il y a de grands abus dans l'administration d'Italie. Il faut prescrire à votre ordonnateur de bien arrêter la comptabilité des quatre mois, parce que je tiens ici la main à ce que rien ne soit payé pour le royaume d'Italie depuis le 1er janvier jusqu'au 1er mai, tout devant être payé par le trésor d'Italie.
Saint-Cloud, 24 mai 1806
Au prince Eugène
Mon Fils, il faudrait envoyer en Dalmatie un bataillon de 800 Italiens. Envoyez-y également toutes les chaloupes canonnières, chebeks, etc., que vous avez à Venise. Vous pouvez tout faire sortir, excepté les frégates.
J'ai lu les détails de l'affaire de Lesina. Je conçois très-bien que par le moyen de l'île de Brazza, il est facile de porter du secours à cette île; mais je crois que le premier et le plus sûr parti est d'attaquer Raguse; par là, on se trouvera à même de reprendre Curzola, et les ennemis auront beaucoup à faire pour défendre les bouches de Cattaro. Écrivez aux généraux Lauriston et Molitor que leurs lettres sont remplies de chimères; que les Russes ne sont pas en Valachie, qu'ils sont bien loin de là, et qu'ils ne pourraient y entrer sans s'attirer toute l'Europe sur les bras; que, loin d'avoir 18,000 hommes disponibles à Corfou, ils n'en ont pas 5,000. Leurs lettres sont pleines de romans; ils n'ont rien à craindre en Dalmatie. Ils ne sauraient avoir autour de ces îles trop de chaloupes et de petits bâtiments de toute espèce. Vos trois frégates seules , toujours ter en rade et prêtes à appareiller, sont suffisantes pour maintenir libre la mer de Venise. Envoyez en Dalmatie des pièces de fer, vous devez en être pourvu.
J'ai fait chef de bataillon le capitaine Guyard, du 23e; Chazeau et Maurillon , du même régiment, ont été nommés membres de la Légion d'honneur. Pourvoyez au service de la marine, et veillez à ce qu'il ne manque pas. Vous devez être maître de toutes les îles; ayant l'arsenal , vous devez pouvoir armer tant de petits bâtiments que les gros vaisseaux russes doivent être rendus nuls, malgré leur supériorité.
Envoyez Dandolo en Dalmatie; sa présence y fera du bien et inspirera de l'enthousiasme et y remettra de l'ordre. Recommandez aux généraux Lauriston et Molitor de le soutenir. Vous recevrez un décret que j'ai pris pour arranger l'affaire de Guastalla.
Saint-Cloud , 24 mai 1806
Au roi de Naples
Mon Frère, je reçois votre lettre du 15 mai 1806. Vous ne connaissez pas le peuple en général, moins encore les Italiens. Vous vous fiez beaucoup trop aux démonstrations qu'ils vous font. N'alarmez pas trop et prenez bien vos précautions. Au moindre mouvement sur le continent, c'est-à-dire au moment où vous aurez le plus besoin de preuves de leur attachement, vous verrez combien peu vous pouvez compter sur eux. Je ne répondrai pas à ce que vous me dites des gardes du corps. Vous ne me croyez pas assez ignorant de la situation actuelle de l'esprit de l'Europe pour croire que Naples est tellement philosophe qu'il n'y ait aucun préjugé de naissance; et, si Naples se présente ainsi à vos yeux, c'est qu'ainsi se présentent tous les peuples conquis, déguisant leurs sentiments et leurs mœurs, et se prosternant avec respect devant qui a leurs biens et leurs vies dans les mains. Vous croyez bien qu'il y avait des préjugés de noblesse à Vienne; eh bien, les familles princières invitaient à leur table les soldats. D'ailleurs, c'est moins pour Naples que pour la France, où j'ai besoin de fonder une union de toutes les classes de citoyens et de tous les préjugés. Quant à l'armée, j'espère que, quand on leur aura dit que c'est moi qui l'ordonne, elle voudra le trouver bon; je ne l'ai point accoutumée à se mêler de ce que je fais.
Ce qui vous est arrivé à l'île de Caprée, je l'avais prévu; en fait d'îles isolées, il n'y a qu'un principe, c'est d'y mettre beaucoup de troupes ou point du tout.
Il n'est arrivé à Alexandrie que 800 galériens; si vous en avez en effet fait partir 4,000, et qu'on les ait laissés s'échapper en route, votre royaume se trouvera empesté.
Il n'y a point de doute qu'il vous faut vous former des compagnies de gardes du corps de la noblesse de Naples; ce que je vous envoie de Français est peu de chose.
Je vous le recommande encore, ne vous laissez point enivrer par les démonstrations des Napolitains; la victoire produit sur tous les peuples le même effet qu'elle produit aujourd'hui sur eux. Ils vous sont attachés parce que les passions opposées se taisent; mais, au premier trouble du continent, lorsque les 40,000 Français qui se trouvent à Naples (cavalerie, infanterie, artillerie) se trouveraient réduits à quelques mille hommes, et que la nouvelle se répandrait que je suis battu sur l'Isonzo, que Venise est évacuée, vous verriez ce que deviendrait ce bel attachement. Et comment cela serait-il autrement ? Comment les connaissez-vous ? Ils voient la puissance actuelle de la France; ils croient que, puisque vous êtes nommé roi de Naples, tout est fini, parce que la nature des choses l'ordonne, parce que c'est de la nouveauté, et parce que c'est sans remède.
Vous avez tort d'envoyer les Corses qui ont été au service des Anglais dans leurs départements; ils me les empesteront. Dirigez-les sur Alexandrie et faites-m'en passer l'état; je verrai à en former un corps.
Saint-Cloud, 24 mai 1806
Au roi de Naples
Mon Frère, je reçois votre lettre du 16 mai. J'aurais désiré avoir le détail de la sortie de l'ennemi de Gaète. Le service ne se fait pas en règle devant cette place. Je vous ai déjà écrit d'y tenir le maréchal Masséna avec un nombre de généraux de brigade suffisant pour qu'il y en ait tous les jours un de service à la tranchée, et que le service se fasse comme dans les sièges. Tenez-y 6 ou 7,000 hommes. Vous n'avez pas besoin de tant de monde du côté de l'Adriatique. J'aurais voulu avoir le détail des descentes des îles d'Ischia et de Procida. N'y tenez personne, ou tenez-y beaucoup de monde. Tenez-y des Napolitains ou des Italiens. Avec l'armée que vous avez, vous ne devez pas craindre d'essuyer aucun échec ni aucun affront nulle part. Sidney Smith est facile à abuser. Je lui ai tendu souvent des embuscades dans lesquelles il a toujours donné. Quand il en aura essuyé trois ou quatre, il finira par se dégoûter.
Saint-Cloud, 25 mai 1806
Au général Dejean
Monsieur Dejean, il faut me faire connaître les travaux à exécuter pour fortifier Cassel d'une manière permanente. Cassel appartient aujourd'hui à la France et ne doit plus être démoli. Cassel, Mayence sont dans une position très-différente de Kehl et de Strasbourg. Cassel fait partie de l'enceinte de Mayence, et Kehl est indépendant de Strasbourg. Il est donc nécessaire non-seulement de mettre Cassel dans le même état de défense que Mayence, mais même d'établir au confluent du Mein et du Rhin les fortifications qu'on y jugera utiles. On accordera les fonds nécessaires. Il faut que le génie fasse une petite note là-dessus. Ce sont là des dépenses bien plus importantes que tout ce qu'on peut faire à Kehl. On ne s'est jamais dissimulé que Cassel et Mayence étaient bien incomplets. Il faut occuper solidement Cassel et travailler sans discontinuer, de manière que la rive gauche du Rhin et le confluent du Mein soient occupés d'une manière forte et en équilibre avec le reste de la place. Sur le plan il n'est pas dit ce qu'on veut faire; le plan d'ailleurs n'est pas assez étendu et doit comprendre 2 ou 300 toises des environs. L'ingénieur qui dans les travaux de Cassel a dépassé les fonds ne mérite aucun blâme, car enfin il était urgent et de première importance que Cassel fût mis en bon état de défense.
Saint-Cloud, 26 mai 1806
ORDRE
M. Duroc fera payer en gratification, savoir :
A MM. Talma | 6,000 francs. |
A MM. Picard (avec une tabatière et chiffre en or) | 6,000 |
Et six mois de traitement faisant | 14,000 |
Total | 88,000 |
Saint-Cloud, 26 mai 1806
A M. de Talleyrand
Monsieur de Talleyrand, la cour de Rome commence des menées sourdes pour abuser les peuples. Elle fait courir des prières qui sont insignifiantes, mais qui laissent percer de mauvaises intentions. Écrivez à Alquier de faire entendre au cardinal Consalvi qu'aucune de ses menées ne m'échappe, que je les suis de l'œil; qu'à la première chose qu'il fera, il en répondra sur sa tête; que je le ferai arrêter au milieu de Rome même. Il parlera de ces prières qui ne disent rien, mais qui laissent assez voir quels desseins l'on a.
Saint-Cloud, 26 mai 1806
DÉCISION
Le général Tilly demande l'agrément de l'Empereur pour porter la décoration de l'Aigle rouge que le roi de Prusse lui a fait remettre par son plénipotentiaire. | Renvoyé à M. Talleyrand. il me paraît extraordinaire que le roi de Prusse fasse ainsi donner des ordres sans ma permission. Il faut en faire témoigner mon mécontentement à Berlin. |
DÉCISION
Le ministre de la guerre présente à l'Empereur un projet de décret relatif au recrutement du régiment d'Isen bourg. | Renvoyé à M. Lacuée. Ce régiment doit se recruter à Francfort, dans les États d'Isenbourg et les provinces d'Allemagne voisines; il sera facile d'obtenir dans les États de Hesse-Darmstadt et États voisins le privilège de recruter. Il ne doit entrer, sous quelque prétexte que ce soit, aucun Français dans le régiment d'Isenbourg. |
Saint-Cloud, 26 mai 1806
A M. Portalis
Je vous envoie un projet de décret sur le clergé d'Italie. Je vous prie de me le rédiger en termes convenables et de me le renvoyer.
PROJET DE DÉCRET
ARTICLE ler. - Aucun évêque de mon royaume d'Italie ne sera contraint de se rendre à Rome pour y être sacré. Ils le seront conformément à ce qui est d'usage dans l'Église catholique en Allemagne, en France et dans le reste de la chrétienté.
ART. 2. - Pour le prix des bulles, il ne sera payé à la chancellerie de Rome que trois mois, etc., etc.
Saint-Cloud, 26 mai 1806
Au prince Eugène
Mon Fils, je n'ai point encore reçu le mémoire de votre aide de camp sur la Dalmatie, et je suis encore sans notions sur cette province. J'ai reçu le mémoire du général du génie Poitevin sur la position de Dernis; cette position me paraît bonne. Il faut charger le provéditeur général de faire construire le pont sur la Cettina, vis-à-vis Sign. Il faut aussi me faire connaître la situation des routes de Zara à Knin et de Zara à Novigrad. Il faut que le général Poitevin envoie des devis qui fassent connaître ce que coûteraient les routes de Dernis à Zara, de Dernis à Trau, et de Dernis à Spalatro. Comment communiquerait-on de Dernis à Almissa et dAlmissa à Raguse ? Pour faire passer du canon de Dernis à Raguse, faudrait-il de grandes dépenses ? Demandez un mémoire sur la manière dont l'Autriche pourrait attaquer la Dalmatie. Je vous ai écrit de faire armer et approvisionner Zara. Le génie ne m'a envoyé aucun mémoire sur le détail des fortirications de cette place et sur les travaux à y faire. Il faut que toute la défense de la Dalmatie soit dirigée contre l'Autriche. Zara et Knin me paraissent donc les points les plus importants, Knin comme petit fort de montagne, et Zara comme la place la plus forte et que pourrait assiéger l'Autriche, si elle devait en assiéger une. J'ai affecté des fonds de mon trésor d'Italie pour travailler, cette année, aux communications et aux chemins. Il me semble que le général Molitor ne correspond point, et qu'il y a peu d'ensemble dans l'administration de Dalmatie; faites-moi connaître quel est l'ordonnateur qui s'y trouve.
Saint-Cloud, 26 mai 1806
Au prince Eugène
Mon Fils, je vous envoie le rapport qui m'est fait par le ministre du trésor public. Vous verrez qu'il a envoyé tout l'argent nécessaire; mais vous dépensez en Italie plus que le nombre de troupes que vous avez ne le comporte. Mon intention est que votre ordonnateur fasse dresser un compte, article par article, de tout ce qui a été dépensé pour le service de l'armée pendant les quatre derniers mois, depuis janvier jusqu'au 1er mai. J'entends article par article : 1° la boulangerie; 2° les approvisionnements extraordinaires; 3° la viande; 4° les fourrages et indemnité de fourrages; 5° le chauffage et indemnité de chauffage; 6° les convois et transports militaires; 7° les hôpitaux. Vous n'avez rien dû dépenser pour l'habillement, puisque cette dépense regarde le ministre Dejean. L'artillerie et le génie n'ont pas dû vous coûter grand'chose.
Saint-Cloud, 26 mai 1806
Au prince Eugène
Mon Fils, je ne conçois rien à la conduite des Sages de Bologne, je crois qu'ils sont devenus fous; je ne vois à cela qu'un moyen, c'est de les remplacer sur-le-champ.
Saint-Cloud, 26 mai 1806
Au roi de Naples
Adressez à mon cabinet tous les journaux et tout ce qu'on publie dans le royaume. J'en ferai faire un extrait, et j'apprendrai par là beaucoup de détails qu'il peut m'être intéressant de connaître.
J'ai écrit à Lavallette de vous envoyer les nouveautés et les journaux.
Saint-Cloud, 26 mai 1806
Au général Dejean
Je désire que vous m'apportiez au conseil de demain une note qui me fasse connaître si j'ai nommé un général pour inspecter les dépôts des régiments qui sont en Italie et dans les 27e et 28e divisions militaires, pour donner des retraites aux soldats hors d'état de servir et des pensions à ceux qui sont susceptibles d'en obtenir. Il me semble que j'ai ordonné au général Schauenburg d'inspecter les 2e et 3e corps de réserve. Faites-moi connaître si j'ai nommé quelqu'un pour le 1er corps de réserve et pour la Hollande. Il est instant de nous défaire de tous les soldats qui sont inhabiles au service et qui mangent et consomment sans être utiles. Faites-moi connaître également à qui est payée la première masse d'habillement des corps de l'armée de Naples : est-ce aux 3e bataillons ou aux bataillons qui sont dans le royaume de Naples ?
Saint-Cloud, 27 mai 1806
Au prince Eugène
Mon Fils, je vois avec plaisir que le camp d'Istrie n'est qu'à une lieue de Capo d'Istria. Par ce moyen, cette division passerait facilement sous les ordres du général Marmont. Puisqu'il n'y a point de paille, il faudrait adopter des hamacs pour l'Istrie et la Dalmatie. Le transport en serait facile de Venise; cette précaution peut seule mettre les troupes à l'abri des maladies. J'imagine qu'on a fait le camp carré, et qu'on n'a pas imité le front de Boulogne qui n'est pas dé-fendable.
Saint-Cloud, 27 mai 1806
Au prince Eugène
Mon Fils, j'ai lu avec attention vos états de revues. Se peut-il qu'il y ait encore dans les 53e, 106e, 13e et 60e, des hommes qui ne soient pas habillés ? J'imagine que les conscrits, s'ils n'ont pas des habits, ont au moins des culottes et des vestes d'ordonnance. Je vois que, dans l'armement, il manque beaucoup de fusils. Est-ce que les régiments qui sont en Istrie auraient des hommes sans fusils? Fi cela était, j'imagine que vous ne dormiriez pas que mes troupes d'Istrie ne soient parfaitement armées. Vous dites qu'il est dû aux 53e, 13e, 106, et 60e, pour la solde; mais vous ne dites pas quels mois il est dû, non plus que pour la masse d'habillement. Du reste, les états me paraissent faits avec soin; je les parcourrai avec plaisir. Mais il faut que dans l'état de juin on me donne des explications sur le nombre d'hommes qui sont, à chaque dépôt, à l'école de bataillon, sur le nombre d'hommes qui sont en habits de paysans, et sur le nombre d'hommes qui ne sont pas armés. Je me persuade que vous ne dormiriez pas si vous aviez en Istrie, en Dalmatie, même en Italie des hommes qui ne fussent pas armés ou qui fussent encore en sarraux de toile. Il est de votre honneur que, vingt-quatre heures après leur arrivée, les conscrits aient la veste, la culotte, le chapeau. Il n'y a point d'excuse, les corps doivent y pourvoir.
Vous me dites que plusieurs régiments reçoivent leur masse d'habillement à l'armée de Naples. Il y a longtemps que j'ai défendu qu'on payât rien du trésor d'Italie à l'armée de Naples. Vous ne devez payer que pour les 3e bataillons. Le roi de Naples doit y pourvoir pour les bataillons qu'il a dans son royaume.
Je vois avec plaisir que vous tenez le général Charpentier en mouvement. J'espère que ses états ne sont pas des états de bureau, mais qu'il a tout vu par lui-même; il doit toujours être en chemin.
Saint-Cloud, 27 mai 1806
Au roi de Naples
Il m'est impossible de vous envoyer plus de canonniers. Toutes troupes sont bonnes pour faire le service des batteries de côte, même la cavalerie. Je vous réitère l'ordre d'envoyer un régiment de cavalerie et un d'infanterie à Cività-Vecchia. Vous avez trois fois autant de troupes qu'il vous en faut. Il est très-nécessaire d'occuper Cività-Vecchia pour ôter aux Anglais toute correspondance avec Rome. Que faites-vous donc de celle immense cavalerie qui est à Naples ? Vous avez trop de troupes du côté de l'Adriatique. Si vous avez l'espérance de faire l'expédition de Sicile, vous pouvez, comme je vous l'ai marqué, tarder à prendre Gaète. Si vous ne voyez pas prochainement la possibilité de passer en Sicile, je crois qu'il faut vous défaire promptement de ce chancre de Gaète. Le temps perdu ne se répare point, et Cività-Vecchia devrait déjà être occupée.
Si vous jetez un coup d'œil sur toute la côte que je suis obligé de garnir, depuis Raguse jusqu'au Texel, il vous sera facile de concevoir que vous êtes le point de l'Empire où j'ai le plus de troupes réunies. Ce n'est pas en mettant des troupes partout que vous garderez tous les points, c'est en laissant marcher. D'ailleurs il ne faut pas vous étonner d'une cinquantaine d'Anglais qui se jetteront sur vos côtes,
puisqu'ils se jettent même sur mes côtes de Normandie et de la Vendée. Mais les paysans sonnent le tocsin et les repoussent eux-mêmes; je ne m'en mêle pas. Depuis Flessingue jusqu'aux Pyrénées, je n'ai pas 4,000 hommes. Établissez une bonne police et des commissions militaires, et vous n'aurez rien à craindre des Anglais. Ne parlez point de Sidney Smith; c'est tout ce qu'il cherche; plus vous en parlerez et plus il cherchera à intrigailler.
L'Europe n'est pas encore assise. Les Russes, qui avaient dit avoir envoyé l'ordre d'évacuer Cattaro, mettent des délais. Ils ont une grande discussion aujourd'hui avec la cour de Vienne à ce sujet. Il faut que vous réfléchissiez, sans cependant prendre l'alarme, et répondiez à cette question : Quel parti prendriez-vous si j'avais besoin du retour de mon armée sur l'Adige ? Pourriez-vous rester à Naples avec le quart des forces que vous y avez actuellement et renvoyer les trois quarts dans la haute Italie ?
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Vous avez à Naples des détachements du 60e de ligne; renvoyez- les à leur corps. Cette manière de disséminer l'armée est funeste à la discipline et à l'ordre.
Saint-Cloud , 28 mai 1806
A l'électeur de Bade
Mon Frère, j'ai reçu la lettre de Votre Altesse Électorale; je la remercie des sentiments qu'elle m'y exprime. J'ai fait connaître à M. de Reizenstein. tous ceux que je lui porte, et le désir que j'ai que, dans aucune circonstance, elle n'éprouve de sujets de chagrin. J'ai vu avec plaisir la résolution qu'elle a prise d'organiser son ministère pour établir dans l'administration de ses affaires un système uniforme, surtout pour ses finances. Votre Altesse sait l'intérêt que j'ai toujours porté à sa Maison; cet intérêt n'a pu que s'accroître par les liens qui nous unissent aujourd'hui. Je désire beaucoup de la savoir heureuse et contente.
Sur ce, je prie Dieu qu'il vous ait, mon Frère, en sa sainte et digne garde.
Votre bon frère,
NAPOLÉON
Saint-Cloud, 28 mai 1806
NOTE POUR LE MINISTRE DE L'ADMINISTRATION DE LA GUERRE
Calculer ce que coûterait une augmentation dans les carabiniers et les cuirassiers, en portant l'escadron à 200 hommes et 200 chevaux en temps de guerre, et 200 hommes et 190 chevaux en temps de paix; augmentation qui équivaudrait à celle de 3,400 hommes et de 3,000 chevaux, et qui équivaudrait à six régiments sur le pied actuel. Faire connaître, pour l'exactitude de cette comparaison, ce que coûteraient six régiments. Examiner quelle serait l'économie, si l'on réduisait les vingt-quatre régiments de chasseurs à seize, en portant chaque régiment à six escadrons.
Savoir aussi combien, avec trois millions, on entretiendrait de régiments d'infanterie, suivant l'organisation actuelle au complet de guerre, mais sur le pied de paix.
Faire faire pour Sa Majesté un livret qui présente, dans tous ses éléments, et masse par masse, ce que coûte, dans toutes les armes, chaque régiment et chaque homme.
Saint-Cloud, 28 mai 1806
DÉCISION
Le ministre du trésor public soumet à l'Empereur l'offre faite par M. le procureur général impérial en la cour criminelle du département de la Meuse-Inférieure, d'abandonner le quart de son traitement en don patriotique. Il prie Sa Majesté de faire connaître si son intention est que ce don soit accepté | Cela ne peut être accepté. |
DÉCISION
Le grand juge fait connaître à l'Empereur que des missionnaires de Gênes parcourent l'arrondissement d'Acqui , département de Montenotte, prêchant une morale dangereuse, et cherchant à décrier les lois et le Gouvernement. | Sa Majesté ordonne que M. l'évêque d'Acqui partira demain pour son diocèse. Il interdira sur-le-champ ces missionnaires, s'ils ont en effet prêché contre les lois et l'autorité publique. Le grand juge transmettra les renseignements qu'il a à cet égard an général Menou, et lui fera connaître que qui que ce soit qui parlera contre le Code civil doit être arrêté et envoyé à Fenestrelle. Il écrira au procureur général à Montenotte de s'adresser, dans les affaires de ce genre, au général Menou , qui a la haute police, comme exerçant l'autorité du Gouvernement. M. Portalis fera un rapport détaillé sur ces missionnaires, sur le lieu de leur naissance et la nature de leurs pouvoirs. |
Saint-Cloud, 29 mai 1806
A M. Gaudin
La communication que j'ai fait faire à la police des états des individus possédant des rentes viagères m'a déjà donné la preuve que, sur cinquante-sept noms, vingt et un qui ont touché, l'année passée, étaient morts. Il est important de demander à la police le nom de ces individus, et qu'il soit pris des mesures pour découvrir ceux qui ont touché et les faire arrêter. On pourrait même les prendre en flagrant délit. J'avais désiré que M. Villars fit un rapport sur les probabilités de mort qu'il doit y avoir eu dans le nombre des rentiers. S'il ne l'a pas fait, donnez-lui les éléments nécessaires, et qu'il me fasse un rapport là-dessus. D'autres renseignements me portent à penser qu'il y a plusieurs millions à recouvrer. Le chaos de la révolution a jeté de l'incertitude dans l'état des familles et a favorisé les substitutions à des individus morts. Mais ces moyens ne sont pas suffisants. Il est nécessaire, indépendamment de ces surveillances, de prendre des mesures générales, tant pour les rentes viagères que pour les pensions civiles qui se trouvent dans le même cas. La création d'un petit nombre de payeurs, donnant un fort cautionnement et répondant de la vérité et de la bonté des payements, me paraîtrait convenable. Cela ne pourrait pas être à charge aux particuliers, car ils se servent tous de commissionnaires. Nous payons en rentes viagères et en pensions civiles plus de vingt millions. Un pour cent qui serait accordé à ces payeurs fournirait une somme de 200,000 francs, avec lesquels on pourrait payer les émoluments des payeurs, pourraient d'ailleurs être autorisés à faire un plus grand prélèvement lorsque l'individu serait en province. Une vingtaine de ces payeurs ou agents de change serait suffisante. Voyez ce qui se faisait jadis là-dessus. Il est nécessaire de prendre des mesures, car la manière de payer d'aujourd'hui ne m'offre aucune garantie.
Saint-Cloud, 30 mai 1806
Sur le compte qui nous a été rendu que, dans plusieurs départements septentrionaux de notre Empire, certains Juifs, n'exerçant d'autre profession que celle de l'usure, ont, par l'accumulation des intérêts les plus immodérés, mis beaucoup de cultivateurs de ces pays dans un état de grande détresse, nous avons pensé que nous devions venir au secours de ceux de nos sujets qu'une avidité injuste aurait réduits à ces fâcheuses extrémités.
Ces circonstances nous ont fait en même temps connaître combien il était urgent de ranimer, parmi ceux qui professent la religion juive dans les pays soumis à notre obéissance, les sentiments de morale civile, qui malheureusement ont été amortis chez un trop grand nombre d'entre eux par l'état d'abaissement dans lequel ils ont toujours langui, état qu'il n'entre point dans nos intentions de maintenir ni de renouveler.
Pour l'accomplissement de ce dessein, nous avons résolu de réunir en une assemblée les premiers d'entre les Juifs, et de leur communiquer nos intentions par des commissaires que nous nommerons à cet effet, et qui recueilleront en même temps leur vœu sur les moyens qu'ils estiment les plus expédients pour rappeler parmi leurs frères l'exercice des arts et des professions utiles, afin de remplacer par une industrie honnête les ressources honteuses auxquelles beaucoup d'entre eux se livrent, de père en fils, depuis plusieurs siècles.
A ces causes,
Sur le rapport de notre grande juge, ministre de la justice, et et de notre ministre de l'intérieur,
Notre Conseil d'État entendu ,
Nous avons décrété et décrétons ce qui suit
ARTICLE ler. - Il est sursis pendant un an, à compter de la date du présent décret, à toutes exécutions et jugements ou contrats, autrement que par simples actes conservatoires, contre des cultivateurs non négociants des départements de la Sarre, de la Roër, du Mont- Tonnerre, des Haut et Bas-Rhin, de Rhin-et-Moselle, de la Moselle et des Vosges, lorsque les titres contre ces cultivateurs auront été consentis par eux en faveur des Juifs.
ART. 2. - Il sera formé au 15 juillet prochain, dans notre bonne ville de Paris, une assemblée d'individus professant la religion juive et habitant le territoire francais.
ART. 3. -Les membres de cette assemblée seront au nombre porté au tableau ci-joint, pris dans les départements y dénommés et désignés par les préfets parmi les rabbins, les propriétaires et les autres Juifs les plus distingués par leur probité et leurs lumières.
ART. 4. - Dans les autres départements de notre Empire non portés audit tableau, et où il existerait des individus professant la religion juive au nombre de 100 et de moins de 500, le préfet pourra désigner un député; pour 500 et au-dessus jusqu'à 1,000, il pourra désigner deux députés, et ainsi de suite.
ART. 5. - Les députés désignés seront rendus à Paris avant le 10 juillet, et feront connaître leur arrivée et leur demeure au secrétariat de notre ministre de l'intérieur, qui leur fera savoir le lieu, le jour et l'heure où l'assemblée s'ouvrira.
ART. 6. - Notre ministre de l'intérieur est chargé de l'exécution du présent décret.
Saint-Cloud, 30 mai 1806
A M. Mollien
Monsieur Mollien, je vois, dans votre rapport du 28 mai, que le payeur de l'armée d'Italie a en caisse huit millions. Cette somme est énorme, et il s'en faut de beaucoup que les besoins de l'armée d'Italie, pour le mois de mai, pussent aller là. Si cela se vérifiait, le subside du mois de juin pourrait être destiné au service du Piémont et de Gênes. Je n'ai jamais eu l'intention d'appliquer les 1,374,000 francs de la dette du Piémont au service du mois d'avril, puisqu'au contraire mon intention a été de les destiner à suppléer à l'insuffisance des fonds de 2,500,000 francs, et pourvoir ainsi à tous les services de l'armée d'Italie pendant le reste de l'année. Il est donc nécessaire de bien asseoir la situation des services de l'armée d'Italie, car il y aurait là des ressources pour plusieurs millions, si effectivement il y avait au ler mai, tous les services des quatre mois de janvier, février, mars et avril payés, huit millions en caisse. Toutefois, il est bien important que vous ordonniez au payeur de tenir la somme de 1,374,000 francs en réserve à votre disposition, car cette somme n'a jamais été déléguée pour les services antérieurs au mois de mai.
Saint-Cloud, 30 mai 1806
Au général Dejean
Monsieur Dejean, le secrétaire d'État vous enverra un décret que j'ai pris sur la cavalerie de l'armée d'Italie. J'attache de l'importance à ce qu'il soit vigoureusement exécuté, parce que l'expérience m'a prouvé la difficulté qu'ont les régiments à se remonter en Italie. Je désire que vous teniez la main à ce qu'ils passent des marchés pour avoir un nombre de chevaux raisonnable.
Vous réitérerez les ordres à Naples pour que les majors et les escadrons des régiments de dragons et de chasseurs qui sont à cette armée rejoignent les dépôts qui forment les divisions de Reggio et de Modène. Mon intention est que vous preniez des mesures pour qu'à la fin de l'année chacun de ces 4es escadrons ait, ceux de chasseurs, 200 chevaux, et ceux de dragons, 200 chevaux, de manière que ces dépôts me forment une réserve de 2,000 chevaux équipés, organisés et prêts à servir. Quant aux quatorze dépôts des régiments d'infanterie de l'armée de Naples, dont j'ai formé deux divisions de réserve en Italie, mon intention est que vous réitériez également l'ordre que j'ai déjà donné aux majors de s'y trouver, et aux cadres des 3e et 4e bataillons de s'y rendre. Vous correspondrez avec ces dépôts pour la comptabilité et les masses que j'ai donné l'ordre de faire payer du trésor public de France. Avec les 4e bataillons des régiments à quatre bataillons, ces dépôts formeront seize bataillons que mon intention est de compléter, de manière à avoir, à la fin de l'année, un corps considérable de réserve. Je vous envoie, du reste tous les états de situation que j'ai reçus de l'armée d'Italie pour servir à la confection des états généraux, en cas qu'ils ne vous ai pas été envoyés.
Saint-Cloud, 30 mai 1806
Au prince Eugène
Mon Fils, je réponds à votre lettre du 22 mai. Je ne suis pas du tout de votre opinion. Il n'y a pas deux espèces de comptabilité à établir pour les réquisitions; il n'y en a qu'une, c'est-à-dire celle des versements effectués dans les magasins français; la seconde ne doit point exister. Vous devez bien croire que votre frontière n'est pas la seule où il y ait eu des réquisitions; j'en ai eu dans l'Alsace et dans le Nord. La théorie que vous établissez est fausse; les ordonnateurs doivent veiller aux intérêts de mes peuples comme à ceux de mon trésor, mais ils doivent aussi démasquer les fripons et les dénoncer au ministre. Mes peuples d'Italie sont mineurs, et je dois, comme roi d'Italie, poursuivre ceux qui se sont fait payer abusivement des sommes pour de prétendues dépenses, faux frais, etc., ou qui ont pactisé la plupart du temps avec les communes pour en garder une partie. Il est temps que ces affaires soient tirées au clair. Dites à l'ordonnateur que je connais parfaitement le service de l'administration de la guerre. Les demandes faites pour l'armée d'Italie sont exagérées; je veux payer exactement, mais je veux y porter la réforme et l'ordre qui y sont nécessaires. Quant aux 1,700,000 francs, somme à laquelle vous évaluez les réquisitions versées, j'ai fourni pareille somme de mon trésor de France, puisque, pour les trois premiers mois de l'année, je vous ni accordé le subside d'un mois pour y être appliqué. Ayez soin que le service de ces trois mois soit payé an moyen de cette somme, car mon trésor de France ne vous payera rien pour cela. Vous savez que le casernement, les lits militaires, les indemnités de logement, doivent être payés à mon armée par le trésor d'Italie. Les hamacs dont j'ai ordonné l'envoi en Istrie et en Dalmatie, puisqu'il n'y a point de paille, ainsi que le baraquement pour ces deux provinces, doivent être aux frais de mon trésor d'Italie. Vous recevrez un décret que j'ai pris à ce sujet.
Saint-Cloud, 30 mai 1806
Au prince Eugène
Mon Fils, vous trouverez ci-joint copie d'un décret (Création de la légion royale dalmate et du bataillon royal d'Istrie) que M. Aldini vous enverra officiellement; vous donnerez sur-le-champ des ordres pour son exécution. La grande affaire, c'est le choix du colonel. Il n'y a point d'italien capable d'un commandement aussi considérable, il faut nommer alors un Français d'un mérite distingué. Vous pouvez prendre quelques officiers dans le bataillon dalmate qui est à Bergame; vous pourrez en prendre dans les troupes italiennes, et, s'il est nécessaire, dans les troupes françaises. Vous pourrez faire des chefs de bataillon de quelques bons capitaines de ma garde royale. Vous chargerez Dandolo de lever les soldats; s'ils peuvent être de l'âge de la conscription, ce sera le meilleur. Faites-leur donner l'assurance qu'ils ne sortiront point de la Dalmatie et pays environnants. Vous sentirez aisément que mon but est d'épargner mes troupes, et de me servir alors des deux premiers bataillons pour occuper en force, avec au moins 800 hommes, les îles de Cherso, de Veglia et celles en avant de Zara. Ces bataillons, composés de 1,200 hommes, pourront constamment tenir 800 hommes dans ces îles, ce qui mettra en parfaite sûreté. Les deux autres bataillons, commandés par le major et qui se réuniront à Spalatro, pourront fort bien tenir 8 ou 900 hommes à Lesina, dans l'île de Brazza et dans celle de Curzola quand on l'aura reprise. Quant au bataillon d'Istrie, mon intention est, dès qu'il sera formé, d'en garnir les côtes, de manière que toutes les troupes que j'ai en Istrie puissent se réunir au camp de Pobbega, et mes troupes de Dalmatie au camp de Dernis.
Saint-Cloud, 30 mai 1806
Au roi de Naples
Je ne suis point surpris que vous soyez satisfait du maréchal Jourdan. J'ai été également content de lui dans son administration d'Italie; c'est un homme probe, actif et mesuré.
Je ne vois pas pourquoi vous laissez le maréchal Masséna à Capoue. Envoyez-le à Gaète, et chargez-le de disposer et diriger avec activité toutes les parties du siége de cette place.
Saint-Cloud, 31 mai 1806
A M. Mollien
Monsieur Mollien, je vous renvoie des états que vous m'avez présentés. Vous me les rapporterez à un conseil des finances que je désire tenir jeudi. Vous y apporterez également notre véritable état de situation au ler mai, soit en recettes, soit en dépenses, ainsi que l'aperçu du service présumé du reste de l'année. Présentez-moi aussi à ce conseil tous les projets de traités à faire avec la Banque pour le reste de l'année et pour l'année prochaine.
Saint-Cloud, 31 mai 1806
A M. de Talleyrand
Monsieur Talleyrand, j'ai lu avec attention le projet d'arrangement pour les affaires d'Allemagne. La seule objection à ce projet est relative à la Prusse. Tout paraît prouver que je n'ai pas à attendre de cette puissance une coopération assez énergique pour forcer l'Angleterre à la paix : le roi de Suède la fait trembler; l'extrême faiblesse qui caractérise son administration ne me laisse rien à espérer pour la fermeture du Sund. Cela étant, il ne faut pas présenter de nouveaux obstacles ni élever aucune nouvelle barrière à la paix avec l'Angleterre. La garantie du Hanovre par la Confédération serait une nouvelle barrière. D'un autre côté, il paraît que Hesse-Cassel continue à être maréchal d'empire de Prusse, et que ce prince faible et irrésolu ne sortira pas de ce joug. Il faut donc laisser à la Prusse quelque chose à prendre dans le cas où elle serait obligée de restituer le Hanovre à l'Angleterre. Les possessions de Nassau, de Fulde, de quelques princes de Waldeck et même de quelques princes de Saxe, sont très-propres à lui faire cette compensation, qui ne doit être que l'équivalent d'Anspach et de Clèves. Je pense donc qu'il ne faut faire d'arrangement que pour la Bavière, Wurtemberg, Bade, Hesse-Darmstadt, Hohenzollern, Clèves et l'archichancelier; ne rien faire pour Hesse-Cassel; et tout ce qu'on destine à Hesse-Cassel le destiner en secret à la Prusse, pour lui servir un jour d'indemnité de la cession d'Anspach. Par la suite on verra quelle sera la politique de Hesse-Cassel et de la Saxe. J'aurai cependant arrangé la partie de l'Allemagne qui m'intéresse : il n'y aura plus de diète à Ratisbonne, puisque Ratisbonne appartiendra à la Bavière; il n'y aura plus d'Empire germanique, et nous nous en tiendrons là. Je désire donc que vous me fassiez un nouveau rapport, dans lequel vous me ferez connaître le territoire de 300, 000 âmes réservé pour la Prusse. Vous pourrez tâter Hesse-Cassel. La première question est celle-ci : Renonce-t-il à être maréchal d'empire de Prusse ? S'il n'est pas possible de procurer de l'agrandissement à ce prince, et en même temps d'en procurer à la Prusse , il vaut mieux retarder jusqu'à un autre temps. Quant à la manière de faire, après avoir entamé une négociation avec chacun des ministres en particulier, il faudra faire une espèce de congrès composé de ces ministres , c'est-à-dire de ceux Bavière, de Wurtemberg, de Bade, de l'archichancelier, de Clèves, de Hesse-Darmstadt et des différents petits princes. Tout ce que je dis ici sur Hesse-Cassel, c'est dans la supposition que ce prince n'est point disposé à se prononcer aussi fortement.
Saint-C10-d, 31 mai 1806
Au général Dejean
Monsieur Dejean, j'ai lu avec attention vos rapports des 29 et 30 avril. Puisqu'il n'y aura pas d'économies notables dans le système des dépôts pour les affûts de siège, je suis loin de persister dans cette idée, que je n'avais eue que dans l'espérance d'obtenir de fortes économies pour compenser les inconvénients assez graves attachés à ce système. On propose de supprimer la fonderie de Gênes; il faut que les officiers d'artillerie calculent quels avantages il y a, ou à faire fondre à Gênes toutes les pièces de Gênes, de Savone, etc., ou à les faire venir successivement à Turin pour les refondre dans cette place et les renvoyer ensuite à Gênes. Beaucoup de raisons me portent à refondre l'artillerie qui est à Gênes : d'abord parce qu'elle est vieille et qu'il en faut pour l'armement de la place; ensuite parce qu'il peut partir de Gênes des expéditions, et qu'il est convenable que l'artillerie soit adaptée au modèle français. Rien cependant ne presse. Je laisse aux officiers d'artillerie à m'éclairer sur cette question. Je ne conçois pas comment on a fait faire deux cents pièces de 24 courtes, et surtout à Avignon, où il n'y a point de fonderie impériale; si l'on peut les décommander, je désire qu'on le fasse. Toulouse n'est pas loin, et l'on peut y communiquer par le canal de Beaucaire; on peut donc fondre à Toulouse. J'attends un rapport là-dessus.
J'adopte le système général, que nous ne devons avoir pour les départements au delà des Alpes que la fonderie d'Alexandrie, qu'on laissera à Turin pour ces dix premières années. Il y a à Parme une vingtaine de grosses pièces qui y sont inutiles. Je désire qu'on les envoie à la fonderie de Turin; mais je crois qu'il y aurait de l'inconvénient à n'avoir que la fonderie de Metz, au lieu de celles de Metz, Douai et Strasbourg. Ce serait bien peu de chose qu'une fonderie pour les côtes de l'Océan, le Nord et la frontière du Rhin. D'ailleurs il y a une grande quantité de bronze réunie dans ces places; le transport coûterait considérablement, et peut-être le système de n'avoir qu'une fonderie n'est pas si économique qu'il le paraît au premier coup d'œil. Qu'est-ce que des fonderies pour la France, si abondamment pourvue d'artillerie ? Ce sont des ateliers de renouvellement; or on renouvelle les pièces dans l'endroit où elles se trouvent. Ne serait-ce pas une grande dépense que de transporter à Metz le bronze qui se dégrade sur les côtes et dans les places de la Flandre et du Rhin , pour le reporter dans ces places ? Ne serait-il pas plus convenable de l'envoyer à Douai, Metz et Strasbourg ? Je crois donc que quatre fonderies pour l'ancienne France, et une au delà des Alpes, ne sont pas trop et sont un moyen d'économie.
Dix arsenaux ne sont pas trop pour la France. Je crois que celui de Rennes n'est pas en activité. Peut-être serait-il convenable de ne rien presser. L'arsenal de la Fère fournit, par la Loire et la Seine, facilement à presque toutes les côtes. D'ailleurs, dans cette matière, il est fort difficile de raisonner; et, après y avoir bien réfléchi, on trouve toujours que ce qui est bon est ce qui existe. On n'établit pas un arsenal à moins de deux à trois millions. S'il n'y en a point à Rennes, il est inutile de faire cette dépense. On a fait en l'an XIII 146,000 armes : c'est bien peu. La France a besoin d'avoir un million d'armes en magasin. Il faudrait donc cinq ans pour avoir ce nombre, en supposant que nous en ayons 300,000. Mais la consommation ne peut pas être moindre de 50 à 60,000 par an; ainsi, sans avoir la guerre, il faudrait dix ans pour avoir le nombre nécessaire. Une année de guerre ou de crainte de guerre nous coûte déjà 150,000 armes. Des moyens de fabrication doivent être pris, surtout au delà des Alpes. Je remarque que cette dépense n'est pas extrêmement considérable; à 30 francs par fusil, la fabrication de 150,000 coûterait 4,500,000 francs. Six millions pour cette dépense ne sont pas hors des moyens de l'État; on pourrait même la porter à huit millions en temps de paix. L'avantage des magasins est qu'on peut diminuer la fabrication en temps de guerre. Aujourd'hui on fait l'inverse; et un État a tant de dépenses à faire en temps de guerre, que les constructions de toute espèce doivent plutôt diminuer dans ce temps qu'augmenter.
Il y a un travail à faire pour les pièces provenant de l'arsenal de Vienne. Les observations à faire portent sur les pièces de siège et sur les pièces de campagne. Les pièces de siège de l'ennemi ne sont bonnes à rien; il faut en vérifier le calibre, et, s'il ne répond pas au nôtre, il faut les refondre. Les pièces de campagne, au contraire, sont utiles; et, tant à l'équipage d'Italie qu'à l'équipage du Rhin, on doit toujours en conserver une soixantaine du calibre autrichien afin de pouvoir les faire venir après les premières victoires, et s'en servir pour employer les boulets qui auraient été pris. L'artillerie doit me faire un rapport sur toutes les pièces autrichiennes qui sont à Palmanova et à Venise et qui ont été prises dans cette guerre pour me soumettre un plan général de l'emploi de ces pièces. Ce corps doit faire aussi un travail sur les détails d'emmagasinement et les dimensions des pièces, affûts et chariots en usage dans l'artillerie russe et autrichienne. Ce travail peut nous mettre à même de nous approprier beaucoup d'idées pour améliorer notre système.
Les Russes ont des obusiers d'une forme particulière et qui portent très loin; il sera bon de faire observer avec attention ces obusiers; il ne faut laisser à l'ennemi aucun avantage, même d'opinion; et le soldat est toujours frappé lorsqu'il voit que les armes de l'ennemi, surtout si éloigné, vont plus loin que les siennes.
Saint-Cloud, 31 mai 1806
Au général Dejean
Monsieur Dejean, je désire que vous me présentiez un projet de décret pour charger l'artillerie des ponts de radeaux, et pour ordonner que, cette année, le bataillon de pontonniers qui est dans le royaume d'Italie jettera un pont de radeaux sur le Pô à Borgoforte, et que le bataillon qui est à Strasbourg en jettera un sur le Rhin, à Strasbourg. Des commissaires d'artillerie nommés exprès tiendront note de tout ce qu'il faut pour jeter ces ponts et des procédés à employer; ces ponts sont les plus nécessaires à la guerre.
Saint-Cloud, 31 mai 1806
Au voce-amiral Decrès
Les circonstances du mauvais air et la saison me portent à ne faire l'expédition de Sardaigne, que j'ai projetée, qu'à la fin de septembre.
Vous pouvez en écrire dans ce sens au préfet maritime de Toulon , pour qu'au 20 septembre il y ait dans la rade de Toulon 6,000 hommes et 300 chevaux; et ce, sans donner sujet à aucune alerte, et sans qu'on voie aucun préparatif. Mais il faut que des moyens soient pris pour avoir à cette époque 4 vaisseaux de ligne en rade, des frégates et flûtes, et pour faire réparer, sans affectation, les bâtiments de commerce qui nous appartiennent. On pourrait faire construire, sous prétexte de défense des côtes de Corse et de l'île d'Elbe, une demi-douzaine de felouques avec les chaloupes nécessaires pour opérer promptement un débarquement. Occupez-vous sérieusement de cette expédition, à laquelle j'attache beaucoup d'importance, et calculez-la de manière que mes vaisseaux de ligne ne restent pas plus de douze ou dix-huit heures devant les parages de débarquement. Mon intention est d'en confier le commandement au contre-amiral Cosmao. Il faut que chaque vaisseau de guerre ait deux chaloupes de plus. S'il est nécessaire, on peut construire quelques petits bâtiments exprès pour cet objet. Chargez aussi le préfet maritime de prendre tous les renseignements, pendant cet intervalle, sur les localités du point de débarquement que j'ai désigné.
Saint-Cloud, 31 mai 1806
Au prince Eugène
Mon Fils, j'ai prescrit différentes mesures pour lesSavj de Bologne et le curé de San Lorenzo. Je pense qu'il n'y a point d'inconvénient à renvoyer le préfet de Bologne, ou du moins à le placer ailleurs, si vous le croyez nécessaire; mais il faut le remplacer par un préfet qui ne soit point de la faction des prêtres, car il ne faut point se dissimuler que la cour de Rome cherche à agiter, et il faut un homme pour y veiller.
Saint-Cloud, 31 mai 1806
Au roi de Naples
Je reçois votre lettre du 21. De tous les maréchaux que vous avez, celui qui vous est le plus nécessaire, c'est le maréchal Jourdan; car vous avez besoin surtout d'un gouverneur de Naples, qui puisse, en votre absence, surveiller la ville avec sagesse et activité. Il n'a pas besoin d'un très-grand état-major. Je vous ai déjà dit que vous pouviez renvoyer tous les généraux dont vous ne vous souciez pas. Ce qui vous ruine surtout, c'est la cavalerie, et la moitié ne doit vous être utile à rien. Je ne vois point de difficulté à ce que vous renvoyiez sur Ancône et Cività-Vecchia ce dont vous n'avez pas besoin. Comme il est essentiel que les régiments de cavalerie se complètent en chevaux, j'ai fourni des fonds pour qu'ils aient 700 hommes . Je désire que vos régiments de cavalerie puissent se remonter dans le royaume de Naples, où il y a de très-bons chevaux. Vous verrez par le décret que j'ai pris, que vous avez à fournir une masse de remontes pour compléter à 540 chevaux les trois escadrons de chacun des régiments que vous avez. Cet argent vous sera remboursé ici sur-le-champ. Je désire que vous renvoyiez de préférence les régiments de dragons, parce que je voudrais les réunir pour soigner leur instruction et les mettre à l'instar de la Grande Armée.
Renvoyez les cadres des 3e et 4e bataillons; ce sera encore une économie ; renvoyez tous les majors ; renvoyez le bataillon du 32e d'infanterie légère , et dirigez-le sur Grenoble; il est de peu de secours et doit vous coûter cher, et j'ai besoin de reformer ce régiment.
Je vois que les régiments italiens ont beaucoup de monde aux hôpitaux. Vous en avez quatre; renvoyez-en au moins deux. Enfin vous avez une armée de 52,000 hommes; cela est beaucoup plus qu'il ne vous en faut. Sur ces 52,000 hommes, vous en avez 44,000 présents sous les armes, 6,000 aux hôpitaux, et cela sans compter les régiments napolitains que vous avez pu lever. En renvoyant deux régiments d'infanterie et les trois régiments de cavalerie italiens, quatre régiments de dragons français, le bataillon du 32e léger, cela ne vous fera qu'une faible diminution dans vos forces soulagera de beaucoup vos finances. D'ailleurs, il paraît, par les bonnes dispositions du peuple de Naples, qu'il vous sera facile d'avoir un ou deux régiments napolitains, qui vous serviront aussi bien que les régiments italiens.
Vous n'envoyez pas d'état de situation ; je désire bien en avoir enfin un très-détaillé.
J'ai besoin de maintenir toujours en Italie une certaine force; et quand une aussi grande quantité de troupes se trouve accumulée sur Naples, je suis obligé d'en former de nouvelles, ce qui augmente mes dépenses considérablement.
Vous avez quatre régiments d'infanterie légère français, dix régiments de ligne français, six de dragons, cinq de chasseurs français, quatre de ligne italiens, trois de cavalerie italiens, un de Polonais à pied, un de Polonais à cheval, un de chasseurs hanovriens à cheval, un de Suisses et un bataillon du 32e léger; de manière que vous avez plus de 7,000 chevaux. Vous pouvez très-bien renvoyer les 1,400 des trois régiments italiens et les 1,600 des quatre régiments de dragons francais; il vous restera encore près de 4,000 chevaux, et cela fera un grand soulagement pour vos finances. En renvoyant 3,000 fantassins italiens, 531 Français du 32e d'infanterie légère, vous ferez encore, sans vous être considérablement diminué, une grande économie pour votre trésor. Vous ne pourrez jamais faire passer plus de 1,500 chevaux en Sicile. En mettant 8,000 hommes devant Gaète et 7,000 pour le reste du royaume, vous aurez une armée de 30,000 hommes. Vous en avez aujourd'hui 45,000; c'est beaucoup trop. Ajoutez à cela que, lorsque vous serez débarqué en Sicile, vous ne serez plus inquiété sur vos côtes, car tout l'effort de l'ennemi se portera sur la Sicile. Je vous le répète, quant aux généraux, vous pouvez renvoyer qui vous voudrez; également pour tous les officiers d'état-major.
Je viens d'ordonner la levée de 3,000 Dalmates, qui me coûteront beaucoup d'argent. Si j'avais eu deux des régiments italiens que vous avez à Naples, je les aurais envoyés en Dalmatie, ce qui m'aurait fait une grande économie. Si vous ne m'en renvoyez pas deux, je serai obligé de faire une nouvelle levée.
Au reste, je vous l'ai déjà dit , vous pouvez garder ou renvoyer, pourvu que vous ne me demandiez pas d'argent et que vous entreteniez bien les troupes que vous avez.
Il faut d'ailleurs vous procurer de l'argent; c'est le nerf de tout. Le royaume d'Italie, qui n'a pas plus de population que le royaume de Naples qui est cependant plus riche, paye plus de cent dix millions en contributions, établissements d'octroi et contributions indirectes. Destruction des privilégies et des concessions, uniformité dans l'administration, ce sont des moyens dont vous regretterez de n'avoir pas fait usage pendant la guerre. Ce qui vous est permis aujourd'hui ne vous le sera plus dans deux ans.
Les 7,000 hommes de cavalerie que vous avez ne peuvent pas vous coûter par an moins de sept millions, tout compris; c'est donc économiser trois millions que de renvoyer 3,000 chevaux.
Le calcul de tout ce que coûte une armée, en y comprenant la solde, les masses, l'état-major, les hôpitaux, etc., est de 1,000 francs par homme pour la cavalerie, et de 500 francs par homme pour l'infanterie. Vous avez 45,000 hommes d'infanterie et- 7,000 chevaux; vous devez compter sur une dépense de vingt-neuf millions sur une dépense de vingt-six millions, en ôtant 31000 chevaux. En ôtant beaucoup de monde inutile, vous pouvez vous réduire à vingt-deux millions. Je désire que vous gardiez les Hanovriens, parce que je ne pourrais les employer contre l'Autriche, vu qu'ils sont allemands; également les Polonais.
Saint-Cloud, 31 mai 1806
Au roi de Naples
N'organisez pas votre garde de manière à ne nommer qu'un commandant : rien n'est plus dangereux; il faut y revenir tôt ou tard et il vaut mieux dès le commencement ne point se placer dans une fausse route. Je vous l'ai déjà dit , et je vous le répète encore, ne vous fiez trop aux Napolitains; je dois surtout vous le dire pour votre cuisine et pour la garde de votre personne; sans quoi vous courrez des risques d'être empoisonné ou assassiné. Je désire donc bien fermement que vous gardiez vos cuisiniers français, que vous fassiez faire le service de votre table par vos maîtres hôtel, et que votre intérieur soit organisé de manière que vous soyez toujours sous la garde des Français.. Vous n'avez pas assez suivi ma vie privée pour savoir combien , même en France, je me suis toujours tenu sous la garde de mes plus sûrs et plus vieux soldats. De tous les hommes que vous avez nommés, je n'en connais aucun, si ce n'est le duc de Saint-Théodore, dont j'ai vu la correspondance avec la Reine lorsqu'il était à Madrid. Je ne blâme pas, quel qu'il soit, que vous l'ayez nommé grand maître des cérémonies; mais que vos valets de chambre, vos cuisiniers, les gardes qui couchent dans votre appartement, que ceux qui viennent vous réveiller pendant la nuit pour vous remettre les dépêches, soient français. Personne ne doit jamais entrer chez vous la nuit que votre aide de camp, qui doit coucher dans la pièce qui précède votre chambre à coucher; votre porte doit être fermée en dedans, et vous ne devez ouvrir à votre aide de camp que lorsque vous avez bien reconnu sa voix, et lui-même ne doit frapper à votre porte qu'après avoir eu le soin de fermer la porte de la chambre où il se trouve, de manière à être sûr qu'il y est seul et que personne ne peut le suivre. Ces précautions sont importantes; elles ne donnent aucune gêne, et le résultat est d'inspirer de la confiance, indépendamment de ce que, réellement, elles peuvent vous sauver la vie. Cette manière de vivre, vous devez l'établir pour toujours. Il ne faut point que vous puissiez être obligé d'y avoir recours dans telle ou telle circonstance, ce qui est affligeant pour l'amour-propre et pour les personnes qui vous entourent. N'en croyez que mon expérience. Le caractère des Napolitains est connu de tous les temps et de tous les siècles, et vous avez affaire à une femme qui est le crime personnifié.
Je vous ai envoyé des auditeurs, je désire que vous les employiez. Ce sont des hommes sûrs pour la probité.
Saint-Cloud, 31 mai 1806
DÉCISION
Le ministre de la guerre fait un rapport sur l'approvisionnement en bronze nécessaire à Gènes pour la fonte de 420 bouches à feu de calibre français. | Je ne m'oppose pas à ce qu'on prenne à Venise et à Palmanova l'artillerie qui est hors de service; mais il est inutile d'en faire venir des pièces pour les refondre et les renvoyer ensuite. Je crois qu'en Italie ce ne sont pas des pièces qui manquent, mais des affûts. Lorsque j'y allai, il y a un an, c'était surtout de mortiers qu'on manquait; mais je crois que depuis il y en a eu beaucoup de fondus. |