Consulat - Premier Empire
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Les Cahiers du capitaine Coignet

Texte de Dominique Contant
Illustration : Tony Broughton
Mise en ligne des Cahiers : Olivier Lavignortiz


Une page des Cahiers


Le témoignage du Capitaine Coignet est l'un des récits les plus émouvants laissés par les valeureux grognards de la Grande Armée. En lisant ses Cahiers on ne peut s'empêcher de penser à Sépaphin Flambeau, autre grognard célèbre. D'ailleurs Edmond Rostand, dans sa fameuse tirade, lui fera dire :

.…..
Qui d'Espagne en Autriche exécutions des trottes;
Nous qui, pour arracher ainsi que des carottes
Nos jambes à la boue énorme des chemins,
Devions les empoigner quelquefois à deux mains
….

Tirade toute droite sortie des cahiers de Coignet.

Tordons le cou à la légende qui voudrait que Coignet n'ai jamais existé. Ses états de service, très officiels et publiés avant ses cahiers, nous le montrent ainsi :

COIGNET (Jean-Roch) naquit le 16 août 1776 à Druyes-les-Belles-Fontaines (Yonne). Conscrit au bataillon auxiliaire de la Seine le 10 fructidor an VII ( incorporé dans la 96° demi-brigade le 21 frimaire an VIII), il servit à l’armée d’Italie et au corps d’observation de la Gironde de l’an VIII à l’an XI, et se trouva aux batailles de Broni, de Montebello et de Marengo, les 19, 20 et 25 prairial an VIII. Entré le 2 germinal an XI dans les grenadiers à pied de la garde consulaire, il fut nommé membre de la Légion d’honneur le 25 Prairial, et fit partie de l’armée des côtes de l’Océan pendant les ans XII et XIII. De l’an XIV à 1807, il servit en Autriche, en Prusse et en Pologne , et passa Caporal le 14 juillet 1807. Il fit la campagne de 1808 en Espagne, revint en Allemagne en 1809, et fut nommé sergent le 18 mai. En marche pour la grande armée de Russie en 1812, il rentra dans la ligne le 13 juillet avec le grade de lieutenant, combattit à Borisow et à la Bérézina, fit la campagne de Saxe en 1813, y fut promu capitaine adjoint à l’Etat-Major général le 14 septembre, et servit en France jusqu’à la fin de la guerre. En non activité sous la première Restauration, et employé à l’armée du Nord pendant les 100 Jours, il se retira dans ses foyers le 31 octobre 1815. Il resta alors en demi-solde et fut admis à la retraite le 27 décembre 1829. Il réside en ce moment à Auxerre.

Ayant connu la fin de l’Empire, marié, embourgeoisé, tenant une épicerie à Auxerre, Coignet fréquente aussi le café Milon, rue du Temple. Devenu veuf, il y aborde les attardés et les commis voyageurs. A sa façon de dire « Ah ça Monsieur Il fait chaud aujourd’hui, mais beaucoup moins chaud qu’à Austerlitz…. Je vais vous conter l’histoire…», il finit par y attirer des clients.

De sorte qu’un avocat, Monsieur Duranton, réussit à le convaincre à écrire ses mémoires. Bien sur, au café, et puisqu’il changeait souvent ses histoires, on finissait par dire : « Alors là, Père Coignet, là vous exagérez…». Peu importe, Maître Duranton réussit à lui arracher un texte.

Mais raconter des histoires, ce n’est pas écrire un livre : sans autres repères que l’Histoire du Consulat et de l'Empire, d’Adolphe Thiers, Coignet et Duranton publièrent enfin les deux tomes des cahiers.

Le premier tome de la première édition fut publié chez l'imprimeur Perriquet en 1851 et dédié aux ' Vieux de la Vieille ', le second tome en 1853. Coignet se chargera lui même, et péniblement, d'en vendre les 500 exemplaires.

Le mystère Coignet

S'il existe un mystère dans les fameux cahiers, ce n'est pas tant par l'existence du Capitaine, existence bien réelle comme nous l'avons vu, mais bien par le texte des cahiers eux mêmes.

Coignet décéda, les années passèrent, et un beau jour, Lorédan Larchey, bibliothécaire à l'Arsenal, se promenant sur les quais trouva et acheta un exemplaire de l'édition Perriquet. Après quelques recherches il rencontra Émile Lorin architecte à Auxerre. Ce dernier possédait plusieurs cahiers retrouvés chez Coignet après sa mort. Lorédan Larchey négocia et vendit les droits à la librairie Hachette qui publia en 1891 la seconde édition des cahiers du Capitaine Coignet, d’après le manuscrit .

Force est de constater que le texte de cette édition diffère de l'édition de 1851, à tel point qu'on se demande si Coignet l'aurait approuvé. Cependant le manuscrit avait bien été retrouvé chez Coignet, dans un placard, lors de l'inventaire fait après sa mort.

Que penser : cette belle calligraphie, faite de lettres rondes mais remplie de savoureuses fautes d’orthographe est-elle de Coignet ? Est-ce le document original que l’imprimeur Perriquet a utilisé et transformé. Le manuscrit a-t-il été écrit après la première édition des cahiers ? Le mystère demeure entier.

En publiant ce manuscrit en 1891 Laurédan Larchey prit également quelques libertés. Quoique très incomplète et truffée de fautes, dans les noms et les dates, cette édition fut traduite dans de nombreuses langues, notamment en Anglais par Sir John Fortescue. Elle connu un immense succès et c’est la version que nous connaissons généralement.

En 1968 Jean Mistler republia le manuscrit, corrigeant les nombreuses erreurs de Laurédan Larchey.

Par exemple, à Marengo, alors que l’édition de 1851 dit 

"......, quand tout à coup six cents hommes de la garde consulaire arrivèrent avec des cartouches dans leurs sarreaux de toile et dans des couvertures attachées à leurs épaules.", 

le manuscrit publié en 1891 dit 

« ….lorsque la Garde consulaire arriva ­ huit cents hommes. Chargés de cartouches dans leurs sarreaux de toile, ils passèrent derrière les rangs et nous donnèrent des cartouches. Cela nous sauva la vie. »

Durant les 100 jours l’édition Laurédan dit que 

« La rive était couverte de neige » 

ce que l’édition 1968 a corrigé par 

« La rive était couverte de noyés »

De toute façon, qu’on lise la première, la seconde ou la troisième édition des cahiers, il ne faut pas la lire avec l’œil critique d’un historien ; ce serait rendre un bien mauvais service à notre capitaine. Coignet n’a pas vécu ni même la moitié de ce qu’il prétend dans ses cahiers. On ne peut pas prendre Coignet au pied de la lettre : il a trop fait, trop vu, trop entendu. A le lire il était non seulement le bras droit de Napoléon mais on pourrait presque dire que l’Empereur n’était rien sans lui.

Il rapporte le plus souvent les histoires faites de légende et de merveilleux que se racontaient les grognards à la veillée. A force de se les répéter notre vénérable vieillard a fini par se convaincre qu’il les avaient vécues.

On a retrouvé chez lui ‘l’Histoire du Consulat et de l’Empire’ de Thiers que sa fidèle servante lui lisait pour servir de repère chronologique. Il s’est servi également de Victoires et Conquêtes de Norvins, du Mémorial, des Bulletins de la Grande Armée et d’un résumé des Opérations du Grand Quartier de 1812.

Coignet s’éteignit le 10 décembre 1865. Lors du banquet funèbre ses amis entonnèrent, comme il l’avait demandé dans son testament :

Il fut du temps des soldats d’Italie
Soldats sans pains, déguenillés fameux
Que ces trois mots: Gloire, Honneur et Patrie
Enivraient tous comme un vin généreux !
À notre époque où toute foi succombe,
Ah! respectons leur talisman guerrier !
Un souvenir à ce soldat qui tombe,
Des vieux grognards peut-être le dernier !
Il nous disait, les paupières fermées :
« Je vais, enfin, revoir mon Empereur !
On l'a nommé, là-haut, Dieu des armées! 

D'un vieux soldat sainte et naïve erreur !
Erreur... Pourquoi ? Si, plus loin que la tombe,
Il est pour nous un monde hospitalier !
Un souvenir à ce soldat qui tombe,
Des vieux grognards, peut-être le dernier.


La première édition, celle de 1851 et que Coignet vendait lui-même au café Milon, est quasiment introuvable. Aussi faut-il saluer le remarquable travail fait par Olivier Lavignortiz qui vient de mettre en ligne (en version PDF), sur son site, la précieuse version de 1851.

Lisez et savourez le texte, en vous imaginant en 1851, au café Milon. Vous avez devant vous le vénérable « père Coignet » ..