Préparatifs et deuxième passage du Danube
"Le Danube nexiste plus pour lennemi. Le général Bertrand a, par dessus le fleuve le plus difficîle du monde, et sur une longueur de 2400 pieds, jeté, en 14 jours, un pont. Un travail que lon aurait crût nécessiter plusieurs années, et qui a pourtant été achevé en 15 à 20 jours " . (24ème Bulletin)
Après la retraite de mai, Napoléon a laissé dans la Lobau les 20 000 hommes du corps d'armée de Masséna, et installé le reste de son armée autour de Schönbrunn et de Vienne. Puis il fait entreprendre de très importants travaux pour rendre plus fiables ses moyens de passage du fleuve, à lorigine de sa déconfiture lors de la précédente bataille.
Au comte Daru, Intendant général de l'armée d'Allemagne à Vienne.
Ebersdorf, 23 mai 1809, une heure du matin.
Il est de la plus grande importance, Monsieur l'Intendant général, qu'aussitôt la réception de cette lettre vous nous fassiez charger sur des bateaux 100,000 rations (le pain ou de biscuit, si vous pouvez les fournir, et autant de rations d'eau-de-vie ; que vous leur fassiez descendre le Danube pour se rendre à la grande île, où est notre pont de bateaux , c'est-à-dire au deuxième bras à gauche. Une grande partie de l'armée se trouvera cette nuit dans cette île et y aura besoin de vivres. Envoyez un employé qui descendra avec les bateaux , et, arrivé à la tête du pont, il fera prévenir le duc de Rivoli, qui se trouvera dans la grande île vis-à-vis Ebersdorf, afin qu'il ordonne la distribution de ces vivres , dont il a le plus grand besoin.
Dans la situation des choses, rien n'est plus pressant que l'arrivée de ces vivres.
Le prince de Neuchâtel, major général
Las Cases : "Les premiers ordres sont donnés à l'instant même du désastre, et les préparatifs sont si rapides, que deux ou trois jours après la bataille, on voit déjà plusieurs sonnettes battre des pilotis au travers des deux grands bras du Danube (..) Le même jour, Napoléon détermine sur les lieux, et trace, de sa cravache sur le sable, le plan des ouvrages qui doivent former la tête des grands ponts et le réduit de Lobau"
Tout ce qui flotte, ou y ressemble, est amené à hauteur de Kaiser-Ebersdorf. Pour relier lîle à la rive droite, un deuxième pont est construit, sur pilotis celui là, environ 40 m en amont de celui existant déjà. Il permet le passage de front de 3 voitures attelées, de lartillerie et de la cavalerie.
Le premier pont, qui sera réservé à linfanterie, est protégé par plusieurs rangées de pilotis, la tête de pont (voir la photo ci-dessous) par des redoutes, et par des batteries installées à hauteur de Kaiser Ebersdorf et de la petite île (le Schneidergund) sur laquelle les deux ponts sappuient, au milieu du fleuve. Un moment on pense même tendre, dune rive à lautre, une énorme chaîne trouvée à larsenal, et qui datait du temps du siège turc, en 1683! En amont, dautres ponts, plus petits, doivent aussi permettre de se protéger de ce que lennemi pourrait mettre à leau, comme il la fait si habilement en juin.
Puis il fait transformer lîle en un véritable camp retranché, y faisant installer tout ce quune armée a besoin à la veille dune grande opération: un hôpital, une boulangerie, un chantier naval (Napoléon a fait venir des marins de la flotte. Ils sont également employés à la surveillance de lîle, dans des chaloupes, équipées de canons, qui sillonnent les canaux), des ateliers, réserves de nourriture, magasin à poudre (voir les stèles de la Lobau.), alimenté par les arsenaux de Vienne.
Des milliers douvriers saffairent. Mais aussi les soldats, qui napprécient guère ces travaux, en dépit du supplément de paye qui leur est versé. Entre les latrines et les travaux, beaucoup rêvent à leur vraie vie de soldat .(Lucas Dubreton)
Girault: "Jallais faire une tournée dans lîle. Jy trouvais bien du changement. On travaillait à élever des batteries de tous cotés, et on construisait de nouveaux ponts sur pilotis (..) Toute lîle était devenue une véritable place forte"
Coignet: "Cent mille hommes (étaient) à l’œuvre dans lîle. On éleva des redoutes, on creusa des canaux, on traça des chemins, on prépara des ponts et des moyens de passage de toutes sortes".
La situation des troupes avait été difficile juste après la retraite, comme en témoignent de nombreux protagonistes.
Journal de route dun régiment hessois: "Les troupes, épuisées par les deux jours de bataille (Essling), affaiblies par la faim et la soif, ne trouvèrent rien dans lîle de la Lobau, si ce nest boire leau sale de la rivière et une place dans la boue pour bivouaquer. Le manque de vivres devint rapidement évident. La viande de cheval et des orties aromatisées de poudre de canon devenaient un plat délicat. Ce nest que lorsque les ponts furent rétablis, le 25, que les vivres arrivèrent."
Coignet: "Nous fûmes ainsi bloqués dans l'île et nous restâmes trois jours sans pain, obligés, pour vivre, de manger tous les chevaux qui étaient avec nous. Pendant ce temps, M. Larrey faisait des amputations à deux pas de nous. Les cris de souffrance et d'agonie se mêlaient à nos cris de détresse"
Pils: "Les communications pour aller d'une rive à l'autre étaient si difficiles, que les hommes n'avaient rien à manger et que les chevaux n'avaient d'autre fourrage que les feuilles des broussailles d saules, seul produit de l'île. On se trouva dans la nécessité absolue de tuer des chevaux pour la subsistance des troupes et, comme les soldats excédés de fatigue par une bataille de dix-huit heures avaient abandonné bidons et marmites, on fut réduit à faire cuire la viande dans des cuirasses et dans des casques.
Nous n'étions pas mieux partagés pour la boisson, n'ayant d'autre eau que celle du fleuve qui charriait les cadavres des hommes et des chevaux tués pendant les deux dernières journées de combats."
Larrey: "Malgré la promptitude et l'efficacité de tous les moyens que nous avions employés, les blessés étaient dans une situation pénible, tous étendus sur la terre, rassemblés par groupes sur les rivages du fleuve, ou dispersés dans l'intérieur de l'île, dont le sol était alors sec et aride. Les chaleurs du jour étaient alors très fortes, et les nuits humides et glaciales. Les vents, qui sont fréquents sans ces contrées, couvraient à tout instant ces blessés de nuages de poussière: quelques branches d'arbres, ou des feuilles de roseau, ne les garantissaient qu'imparfaitement des rayons du soleil.
La rupture des ponts et la pénurie des barques pour le transport des denrées ajoutèrent à ces vicissitudes, et nous mirent dans une privation extrême de bons aliments et de boissons réconfortantes, dont nos malades avaient un pressant besoin. Je fus forcer de leur faire préparer du bouillon avec de la viande de cheval, qu'on assaisonna, à défaut de sel, avec de la poudre à canon. Le bouillon n'en fut pas moins bon; et ceux qui avaient pu conserver du biscuit firent d'excellentes soupes (qu'on ne se figure pas que ce bouillon avait conservé la couleur noire de la poudre: la cuisson l'avait clarifiée)."
Boulart:"L'armée resta dans l'île pendant quelques jours, à peu près dépourvue de vivres, car il ne pouvait en être apporté que par quelques barques. A défaut de viande, les soldats firent la guerre aux chevaux; dès la première nuit, il y en eut un bon nombre de saignés et dépecés: les chevaux d'officiers y passaient comme les autres; chacun fut obligé de faire bonne veille pour échapper à ce coûteux tribut."
La situation va donc s'améliorer lorsque les ponts vont être rétablis.
Larrey: "Le troisième jour, nous eûmes heureusement toutes sortes de provisions, et nous pûmes faire des distributions régulières. Le quatrième jour, les ponts étant rétablis, les blessés furent tous transportés aux hôpitaux (..) Je fis transporter ceux qui appartenaient à la garde dans la superbe caserne de Reneveck (Rennweg), consacrée autrefois à l'usage de l'école impériale d'artillerie."
La situation sanitaire nest par pour autant satisfaisante, et la dysenterie sinstalle, se répand, décimant les rangs.
Pour éviter que les autrichiens puissent être tenus au courant de ce qui se prépare, les allées et venues dans lîle sont strictement surveillées.
Marmont: "Davoust avait la police de lîle de la Lobau; son caractère se montra, dans cette circonstance, avec toute sa sévérité sauvage. Il avait défendu aux habitants du pays, sous peine dêtre pendus, de pénétrer dans nos camps, et souvent cet ordre a été exécuté à la rigueur" (selon Marbot un espion sera même intercepté et fusillé).