Consulat - Premier Empire

Les Acteurs

André Masséna

(1758-1817)

Duc de Rivoli
Prince d'Essling
Maréchal de France

"L'enfant chéri de la victoire" (1796)
"L'enfant pourri de la victoire" (1808)


Orphelin à six ans

Nous sommes le 8 mai 1758. Ce jour là, le chanoine Cacciardi vient d'apposer sa signature sur un certificat de baptême d'"André Masséna, fils du noble Jules et de Catherine Fabre, époux Masséna, né le 6 courant ... le parrain étant le noble André Deporta et la marraine la noble Catherine Masséna"

Cette famille Masséna, dont l'origine du nom se perd dans un flou certain, est arrivée du Piémont, trois siècle plus tôt, et s'est installée dans la vallée de la Vésubie, dans le village de Levens. Et ils ont eu beaucoup d'enfants. Le grand-père d'André (il se prénommait Dominique) a eu trois fils, Jules, Augustin et Marcel. Les deux premiers s'établissent à Nice, le troisième s'engage au service de la France, dans le Royal-Italien. On le reverra croiser la route de notre héros.

En 1747, Jules, sans doute sous la pression de ses parents, accepte de prendre la place de son frère Augustin, lorsque celui-ci est nommé pour servir au régiment national de la ville, et de rentrer, lui aussi, au Royal-Italien. Sept ans plus tard, le 1er août 1754, Jules épouse en justes noces Catherine Fabre. Le mariage a lieu à Nice, en l'église Saint-Martin. Il installe un petit négoce de vin à La Bourgade. Mais sa vie va bientôt s'arrêter : il meurt le 13 décembre 1764, laissant son troisième enfant, André, orphelin à 6 ans.

Un mousse

André échoit à sa grand-mère paternelle, et il se retrouve à Levens. C'est un enfant turbulent, un peu "chef de bande" (comme le sera le petit Napolione Buonaparte). Il est un moment mitron, puis est employé à la vermicellerie de son oncle Augustin, où il "tape du cul sur la plate-forme en bois d'une vieille machine à macaronis". Pas vraiment une enfance heureuse. Ce qui n'améliore pas son caractère.

Un beau jour, il a 14 ans, il gagne Toulon, en compagnie de son cousin germain, François. Le voilà embarqué (clandestinement ? grâce au soutien de son grand-père maternelle ?) sur un navire de commerce. Commencent de dures années de navigation (1773-1775), qui le conduisent à Cayenne, en Nouvelle-Angleterre, à l'Île-de-France, mais dont, curieusement, il ne parlera, plus tard, jamais. Mais ces années là vont lui durcir le caractère et le corps. 

Son dernier embarquement n'est pas renouvelé, il pense regagner Nice, quand il rencontre, par hasard, l'oncle Marcel. Car le Royal-Italien est à Toulon, venant de Monaco.

Au Royal-Italien

L'oncle marcel est justement, à ce moment là, sergent recruteur : André signe son engagement le 18 août 1775. Marcel va rapidement faire naître chez André une solide vocation, et, comme il est, par ailleurs, travailleur et assidu (mais la grammaire et l'orthographe ne sont pas son fort, et cela le restera toute sa vie, mais quoi ! il ne sera pas le seul, à commencer par Napoléon !), il gagne ses galons de caporal le 1er septembre 1776. 

"Jamais, dans le cours de sa brillante carrière, il ne ressentit autant de joie et de fierté qu'en recevant les marques distinctives de ce modeste grade" (Mémoires de Masséna)

Ainsi donc, une grande carrière commence. Le Royal Italien est alors en Roussillon, plus précisément à Collioures. Le 18 avril 1777, André Masséna est nommé sergent. Son bataillon "émigre" à La Rochelle. Il passe alors pour un des meilleurs instructeurs des régiments de Provence. Le voilà, le 4 septembre 1784, adjudant, cette fois-ci à Toulon, où son unité va séjourner quatre ans. C'est à ce moment qu'il se fait recevoir apprenti dans la loge maçonne La Parfaite Union. 

Remanié et rebaptisé régiment des Chasseurs Royaux de Provence, l'unité de Masséna se déplace à Antibes. Il s'y fait une très bonne réputation et il est tenu en haute estime par ses supérieurs. Son colonel apostrophe un jour ses officiers : "Votre ignorance sur la manœuvre est honteuse, Messieurs, vos inférieurs, Masséna par exemple, feraient manœuvrer le bataillon mieux que pas un de vous !" (Mémoires).

Et portant, ces mérites ne lui permettent pas d'accéder aux grades supérieurs : les ordonnances du maréchal de Ségur, qui exigent quatre quartiers de noblesse pour être sous-lieutenant, lui ferment les portes de la carrière. Alors, de guerre lasse, il donne son congé le 19 août 1789.

"Nous soussignés, certifions à tous ceux qu'il appartiendra, avoir donné congé absolu au sieur André Masséna, adjudant du bataillon des Chasseurs de Provence, natif de Nice, état du Roi de Sardaigne, âgé de trente ans, de la taille de cinq pied quatre pouces, ayant servi depuis le 18 août 1775 jusqu'à ce jour, avec distinction, zèle et intellig3nce constamment soutenus, profonde connaissance et un mérite qui lui donnait droit d'être promu à tous les grades et lui laisse la gloire d'emporte nos regrets."

Mariage

Quelques jours auparavant, il a convolé en justes noces.

L'an mil sept cent quatre-vingt-neuf et le dix du mois d'août, sieur André Masséna, âgé de trente et un ans, fils de défunt Jules-César, négociant, et de feue demoiselle Catherine Fabre, ancien adjudant du régiment des Chasseurs Royaux de Provence, habitant dans cette ville d'une part, et demoiselle Marie-Rosalie Lamarre âgée de vingt- quatre ans, fille du sieur Joseph, maître en chirurgie, et de demoiselle Marie-Anne Aubanel, de cette ville, d'autre part, ont été mariés et ont reçu la bénédiction nuptiale par nous prêtre soussigné de cette église et selon les formes du Concile de Trente, après une publication faite dans cette paroisse. Accordé par M. le général de division le 4 du courant et signé de lui, Montchoisy, major, Court, greffier, d'Allons, lieutenant-colonel audit régiment de Provence.

Présents: le père de l'épouse et la mère. Témoins : Me Louis Dolle, notaire, le sieur Lamarre, notaire, Gautier, Antoine Roux, négociants; Alexandre Roux, bourgeois de la ville de Toulon; Marcel Masséna, oncle d'André, qui ont signé avec les parties.

Ardisson, prêtre vicaire. (Antibes. Archives municipales. Registre des mariages 1789.)


L'épousée n'est pas vraiment une beauté, mais son père a de la fortune et la dote suffisamment pour qu'André, dénués de ressources à cette époque, y regarde de trop près .... En fait, les "retombées" ne seront pas vraiment celles que le jeune marié attendait, le beau-père n'ayant finalement que les apparences de la fortune. 

Et comme, le 8 juillet 1790, Marie-Rosalie lui donne une fille, prénommée Marie-Anne-Élisabeth (elle mourra le 18 mars 1794), les charges de la famille ne font que s'alourdir.. Après un an passé dans la famille de sa femme, toujours sans nouvelle position, il sollicite une sous-lieutenance dans la maréchaussée, devenue, Révolution aidant, la gendarmerie nationale. Malgré des appuis, il n'obtient pas le poste convoité.

Mais la Révolution a éclaté, depuis un an maintenant. Masséna en a adopté les principes (l'esprit jacobin persistera longtemps chez lui) et était entré dans la garde nationale, au sein de laquelle il est élu adjudant-major le 1er février 1791, puis lieutenant-colonel en second au 2e bataillon du Var, le 5 décembre 1792 (il prend la succession d'un certain Gazan...)

(..) Sur 463 voix, le citoyen Masséna, adjudant-major, a eu quatre cent trente et une, et les autres ont été perdues. Le citoyen Masséna ayant eu la majorité absolue a été proclamé à la tête du bataillon lieutenant-colonel en second, et est entré ce-jour même en exercice de son nouveau grade.

Sanglier, président; Alberny, Blay, Masséna, scrutateurs; Torreille, secrétaire

Procès-verbal de la nomination au grade de lieutenant-colonel en second (chef de bataillon), du citoyen André Masséna, adjudant-Major audit bataillon.

Pendant seize mois il va se consacrer à la formation des nouvelles recrues.

Toulon

Le 20 avril 1792, la Constituante avait déclaré la guerre à l'Autriche. Masséna, à la tête du deuxième Var, fait partie de la division Charton, de la novelle armée du Var. Bientôt, le titulaire démissionnant, Masséna la remplace. Les hostilités commencent avec la Sardaigne. Masséna et son régiment arrivent à Nice le 6 octobre, puis se rendent à Monaco. Ses sentiments jacobins irritent passablement le prince Honoré IV, qui proteste :

M. d'Anselme commandant pour lors l'armée d'Italie a envoyé le 22 octobre 1792, un bataillon bien armé s'emparer de Monaco comme d'une place ennemie avec ordre d'y établir un club et d'y ériger un arbre de la Liberté !

se plaint le prince dans un mémoire à Barrère, qui sera soumis au Comité de Salut Public.

Le 17 novembre, Masséna se rend sur ses positions de combat, à Chateauneuf et à Tourettes. Il entre dans l'Histoire.

Cette "Première campagne du Piémont" est particulièrement confuse et monotone, et ce n'est pas ici la place de la décrire. L'armée du Var et des Alpes a été renommée Armée d'Italie. Masséna y commande toujours le Deuxième Var, sous les ordres maintenant de Dagobert. Les troupes manquent de tout, Masséna vitupère :

Nous manquons de tout à l'exception du pain. J'ai l'honneur de vous faire observer, mon général, que je crains que le manque de vivres ne fasse un mauvais effet. Veuillez donner les ordres précis pour remédier à ce grand inconvénient.

Mais il parvient, au contraire de ses collègues, à maintenir l'ordre dans ses troupes.

Suivent des combats, dans la montagne, terribles, coûteux en vies humaines. En France, on recule sur presque tous les fronts. La levée en masse est décrétée.

Le 24 août 1793, sur proposition de Dumerbion, Masséna reçoit ses étoiles de général de brigade. Juste au moment où il est engagé dans de durs engagements, à Fougasse.

Le Conseil exécutif ayant jugé utile, citoyen, de vous employer dans le grade de général de brigade, près des troupes qui composent l'armée d'Italie, l  ministre de la Guerre me charge de vous en informer. Je joins ici les lettres de service qui vous ont, en conséquence, été expédiées et je vous engage à ne pas perdre de temps pour prendre les instructions du général de cette armée, sur les fonctions que vous aurez à remplir sous ses ordres. Vous voudrez bien m'accuser réception de votre lettre de service.

Et le 14 décembre (il est alors en congé), le nouveau promu reçoit l'ordre, du "général d'Italie Dumerbion"

de se rendre sans délai à Solliès, où il joindra l'armée révolutionnaire pour Toulon.

Sous les ordres de Lapoype, Masséna va s'emparer du fort Lartigues. Le 19 décembre 1793, les troupes républicaines pénètrent dans Toulon. La Convention, informée, se hâte d'attribuer des récompenses "aux braves citoyens de cette armée". Le chef de bataillon d'artillerie, un certain Napoleon Bonaparte, est promu général de brigade; Masséna lui, devient divisionnaire. Le brevet indique qu'il est accordé au citoyen Masséna en 

prenant une entière confiance dans la valeur, expérience, vigilance, bonne conduite, zèle et fidélité, dont (il) a donné des preuves.

Le 17 février 1794, Masséna est en visite à Antibes. Le maire s'adresse à lui, dans un discours des plus lyriques :

Rien ne coûtera à tes frères d'armes, je le lis dans leur cœur, d'affronter avec toi les plus grands dangers. Ils ont tous la plus grande envie de te suivre dans tes expéditions et d'en partager avec toi les périls et la gloire.

Savait-il donc lire dans l'avenir, le brave ?

 

Premiers lauriers en Italie

Masséna a été chargé, par Schérer, de préparer un plan de campagne pour l'armée d'Italie, qui sera finalement agréé par Carnot. C'est de nouveau les marches en montagne, les combats répétés, souvent victorieux. Mais Thermidor enraye le mouvement, Bonaparte est arrêté, les opérations, sinon arrêtées, du moins ralenties.  Les mois passent dans une inaction relative. André retrouve son ancien compagnon de jeunesse et cousin germain François. Il n'est pas du tout impossible qu'ils fricotent ensemble des affaires déjà juteuses.

Les austro-sardes ont repris du poil de la bête. Kellermann a remplacé Dumerbion, mais ne les empêche pas de reprendre Loano, fermant ainsi la route de Gênes.

Mais les évènements vont s'accélérer. Les traités de Bâle et de La Haye (5 avril, 16 mai, 22 juillet 1795) voient la rupture de la coalition. Restent à vaincre l'Autriche, et son support, l'Angleterre. L'armée d'Italie, commandée maintenant par Schérer (les commandants en chef valsent...) est renforcée, et portée à 35.000 hommes. Mais elle manque de cavalerie. Masséna en reçoit le commandement de la droite. L'offensive est déclenchée le 15 novembre. Elle vise à séparer les autrichiens des sardes. Masséna doit s'en prendre aux premiers, à Loano. La bataille qui portera ce nom se déroule les 23 et 24 novembre, et verra la victoire de Masséna. La Lombardie s'ouvre aux français, la route de Turin est dégagée. Masséna vient de gagner ses premiers fleurons.

Schérer est un ancien : il choisi, comme jadis, et parce que la mauvaise saison arrive, de faire prendre ses quartiers d'hiver à son armée. Et voilà que, en février 1796, on apprend sa démission.

Je vous conjure, je vous supplie d'envoyer un général qui ait plus de ressources et d'habileté que moi, car j'avoue que je suis incapable de me charger, dans cette circonstance, du fardeau du commandement"

écrit-il au Directoire. Dans les rangs, on murmure que Masséna pourrait (devrait ?) être son successeur. Lequel se prend lui-même à y penser.

Mais c'est Bonaparte qui, le 24 mars 1795, arrive à Nice. La première campagne d'Italie va commencer.

 

Première campagne d'Italie

A la reprise des hostilités, en 1796, Masséna se voit donner le commandement de l'avant-garde. Quelques jours avant, le nouveau général en chef avait reçu, à Nice, ses divisionnaires. "Je crois que nous avons un chef " avait confié, à la fin de l'entrevue, Masséna à Augereau. Puis, le 31 mars, cela avait été la grande revue, et la fameuse proclamation "Soldats, vous êtes nus, mal nourris....", dont il n'est d'ailleurs pas sûr qu'il l'ai réellement prononcée.

Mais la situation de l'armée est bien conforme à l'esprit de ces lignes. Stendhal, Ségur, Pelleport, d'autres encore, sont là pour porter témoignage. Quant à la discipline.... Le nouveau général en chef prend le problème à bras le corps :

Le 3e bataillon de la 209e demi-brigade s'est rendu coupable de désobéissance; il s'est déshonoré par son esprit de mutinerie.. Les officiers se sont mal conduits; le commandant, le capitaine Duvernay, a montré de mauvaises intentions. Il sera traduit devant un conseil militaire à Toulon ainsi que les grenadiers accusés d'être les auteurs de la mutinerie. Les officiers et sous-officiers n'ayant point donné l'exemple de partir et étant restés dans les rangs sans parler, sont tous coupables; ils seront sur le champ licenciés et renvoyés chez eux. La présente lettre sera mise à l'ordre de l'armée.

Quoiqu'il en soit, la campagne commence le 2 avril. Masséna emmène sa division : les 8e, 25e, 32e et 75e demi-brigades; le 10e chasseurs à cheval et le 3e dragons. S'y ajoutent six pièces d'artillerie légère et six d'artillerie à pied.

Et ce va être Montenotte, Castiglione, Lodi, Arcole, Rivoli et Mantoue ! Masséna va, avec ses vaillantes troupes, cueillir une moisson de lauriers, sanctionnés par des félicitations nombreuses du gouvernement.

23 avril 1796 :

Le Directoire vient d'apprendre avec intérêt la nouvelle de la victoire remporté les 22 et 23 germinal sur les ennemis de la République. Il a vu, par le rapport du général en chef, que vous n'aviez pas peu contribué au succès de ces glorieuses journées; il n'attendait pas moins de votre courage et de vos talents; ils lui sont un sûr garant des nouveaux succès que va avoir l'armée d'Italie, en exécutant les nouveaux mouvements ordonnés par le Directoire et concertés avec le général en chef.

25 avril 1796 :

Le Directoire exécutif a vu, citoyen général, avec le plus grand intérêt dans le rapport du général en chef Bonaparte, que, par votre valeur et vos talents militaires, vous avez encore puissamment contribué à l'éclatante victoire remportée les 24 et 25 germinal par la brave armée d'Italie. Il est très satisfait d'avoir à ajouter aujourd'hui de nouveau éloges à ceux que vous avez mérités à la bataille de Montenotte : vous devez déjà regarder l'estime et la reconnaissance nationale comme une récompense qui vous est justement acquise.

1er mai 1796 :

Vous vous êtes distingué de nouveau à Dego. Organe de la reconnaissance nationale, le Directoire s'empresse de vous en témoigner sa satisfaction.

18 mai 1796 :

Le Directoire (...) n'ignore pas que vous vous êtes trouvé à la tête de l'intrépide colonne qui a forcé le pont de Lodi défendu par une artillerie formidable, et que vous avez partagé la gloire de décider par cette action mémorable le succès de la bataille. Le Directoire est persuadé que vous déploierez dans toutes les occasions les talents et le courage dont vous avez donné jusqu'ici des preuves distinguées.

etc., etc.

Au soir de la défaite de Provera à La Favorite, ce qui donne Mantoue à la France, Bonaparte envoie à son divisionnaire : "Vous êtes vraiment l'enfant gâté de la victoire !". La formule fait fureur, le surnom reste à Masséna (plus tard, bien plus tard, cela deviendra l'enfant pourri de la victoire, mais pour, hélas, d'autres raisons !)

Mais ce n'est pas encore fini.  L'Autriche résiste, envoie contre Bonaparte l'archiduc Charles, celui qui, en Allemagne, a montré du talent, battant Jourdan à Wurzbourg, contraignant Moreau à retraiter. Déjà, il se fortifie sur les routes qui mènent à la Vénétie, au Brenner, à Tarvis, au col d'Adelsberg. Mais, une fois de plus, Bonaparte va prendre l'adversaire de vitesse. Msséna reçoit l'ordre de marcher sur l'Isonzo supérieur, et le col de Tarvis. C'est là, que les 22 et 23 mars 1797, il défait les autrichiens, leur prenant 25 canons et 3500 prisonniers.

On le sent bien, tout concourt pour que les français soient bientôt à Vienne. Bonaparte a atteint Villach et Klagenfurt, Bernadotte est à Trieste et Laybach, Joubert, par le Pustertal est sur le point de rejoindre le général en chef en Carinthie. Quant à Masséna, il est à Neumarkt, puis à Sankt-Veit, progressant sur Leoben. Leoben, justement, où tout va s'arrêter, parce que Bonaparte en décide ainsi. 

Le 18 avril 1797, Berthier envoie un billet à Masséna :

En conséquence des dispositions du général en chef, il est ordonné au général de division Masséna de partir en poste de Léoben pour se rendre à Paris, auprès du Directoire, et lui remettre des dépêches importantes. Il passera par l'Allemagne.

Le 23, André Masséna, accompagné de l'aide de camp Ducos, prend la route de Paris. Dans ses bagages, certains articles secrets des Préliminaires de paix de Leoben. Par Radstadt, Salzbourg, Munich, Stuttgart, Strasbourg et Metz, ils arrivent à Paris le 6 mai.

A Paris, il est accueilli en héros. Le 9 mai, il est reçu en audience solennelle par le Directoire. Il prononce un discours :

(...) L'armée d'Italie, fatiguée, mais non pas rassasiée de succès, s'était frayée un passage que les phalanges d'aucun peuple moderne n'avaient pu forcer. Vienne était déjà menacée. Les armées du Rhin et de Sambre et Moselle jalouses de moissonner leur portion d gloire dans cette campagne, avaient passé le Rhin et marchaient à pas de géant dans l'Empire; dans cette heureuse position, il a été beau de voir Bonaparte, qui n'a de modèle que dans l'antiquité, accepter les préliminaires de paix avec le roi de Bohême et de Hongrie. Ce général m'a envoyé vers vous pour vous en présenter la ratification (..) Commandez, citoyens Directeurs, et les vainqueurs de l'Italie joints à ceux de Sambre et Moselle et du Rhin, voleront à de nouveaux combats, anéantiront les restes agonisants de la coalition et forceront les plus mutins à trembler au seul nom de la République française (...)

Pour lui donner la réplique, le président en exercice du Directoire, Letourneur, y va de son couplet d'éloges à l'égard de Masséna :

Le burin de l'Histoire, citoyen général, en transmettant à la postérité les prodiges de valeur qui ont illustré les armées françaises pendant les glorieuses campagnes de la Révolution, n'oubliera pas sans doute le général républicain si justement surnommé l'Enfant gâté de la Victoire, le brave Masséna !

et une fête brillante est donnée en son honneur le 18.

Mais à ce moment, le microcosme politique parisien est en ébullition. Il s'agit d'élire un nouveau Directeur. Un moment, les politiques pensent à Masséna , mais c'est Barthélemy qui est élu. Mais Masséna y a cru : il est dépité. Et pour Barras, qui cherche (déjà !) un sabre, celui-ci n'a vraiment pas d'étoffe politique. Qu'il retourne donc en Italie (c'est Masséna qui le lui demande).

Bientôt, il est de retour à Padoue. André retrouve, une nouvelle fois, le cousin François, qu'il a fait nommer commissaire des guerres. La ville est mise en coupe réglée. Kilmaine, qui assure l'intérim pendant que Bonaparte discute encore à Udine, envoie rapport sur rapport :

On se plaint beaucoup de la division Masséna; il y a eu des vols et des assassinats de commis. On se plaint aussi que Masséna, avant son départ, a fait contribuer tous les couvents de la ville en les menaçant de mettre les moines dehors et d'y loger les troupes de sa division; il y a beaucoup de plaintes contre lui et son chef d'état-major Solignac, pour des contributions levées à Padoue.

Car Masséna n'est plus en Italie : il a préféré rentrer à Paris, comme Bonaparte. Il  compte postuler pour la place laissée vacante par le général en chef. Mais c'est Berthier qui va être nommé. En "compensation", Masséna est nommé commandant du corps français d'occupation des états romains.

 

Intermède romain

Car à Rome, des évènements graves sont survenus Le 27 décembre, l'ambassade de France, à la tête de laquelle se trouve Joseph Bonaparte, a été assaillie par la populace, le général Duphot est massacré par les gardes-suisses. L'ambassadeur demande aussitôt ses passeports et qui la Ville Éternelle.

Furieux, le Directoire donne l'ordre à Berthier d'entrer dans Rome, ce qu'il fait le 12 février 1798 et, trois jours après, la république romaine est proclamée, le pape s'enfuit à Sienne. Il y sera enlevé, et envoyé à Valence.

Le pillage de la ville commence, Berthier ayant fait signer au pape le paiement d'une grosse contribution de guerre. C'est dans ce climat que Masséna arrive à Rome, le 20 février, pas vraiment bien accueilli par Berthier, le nouveau chef de l'armée d'Italie, en instance de départ pour Paris.

Masséna doit alors faire face à une insoumission de l'armée, à une situation d'anarchie plus qu'inquiétante. L'armée déclare même qu'elle ne veut plus de Masséna, réclame Dallemagne à sa place. Valse hésitation de ce dernier, Masséna retrouve, un instant son poste. Nouvelle colère des troupes. Deux demi-brigades déclarent refuser de se battre. On est proche de l'affrontement armé quand arrivent les ordres du Directoire, alerté par les commissaires du gouvernement en poste à Rome : Masséna doit se retirer et céder la place à Gouvion Saint-Cyr. Il est mis en disponibilité, et se voit assigner Antibes comme résidence. Il y arrive le 9 avril. L'aventure romaine a duré un mois et demi ! Elle laisse, hélas !, un tache indélébile sur la mémoire de Masséna.

 

Le héros de Zurich

Masséna va rester dans une espèce de disgrâce, jusqu'au 2 septembre 1799. Ce jour-là, il reçoit sa nomination à la tête de l'armée d'Helvétie. 

Le Directoire, en effet, doit de nouveau faire fasse à la guerre, au moment où la situation intérieure est des plus critiques. L'Europe voit, on s'en doute, d'un mauvais oeil l'occupation de la Suisse, la conquête de Rome, l'expulsion du pape. A Radstadt, où les pourparlers de paix traînent en longueur, les négociateurs français sont, le 28 avril 1799, massacrés par des hussards hongrois.  

C'est donc la guerre ! Mais le Directoire ne dispose, à ce moment, que d'effectifs insuffisants et de moyens médiocres. Les meilleurs sont en Égypte, avec Bonaparte. Qui choisir à sa place ? Le choix se porte sur André Masséna, malgré "les casseroles" (comme l'on dirait aujourd'hui !) qu'il traîne après lui.

Lui qui, dans sa disgrâce, n'avait pas manqué de contacter son ancien général en chef :

J'ai recours à vos bontés, j'attends tout de vous (...) Enfin je me jette dans vos bras et n'entre pas dans d'autres détails qui me navrent le cœur.

Mais Bonaparte n'avait même pas répondu.

Mais tout ceci est maintenant oublié, il faut agir ! Le 11, il est à Paris, le 21 il prend la route de Strasbourg.

L'armée d'Helvétie, placée dans le pays des Grisons, s'étendra par sa gauche pour communiquer avec l'armée du Danube, et, par sa droite, vers les passages des Alpes qui conduisent dans le Tyrol italien et la Valteline, afin de garder le contact avec celle d'Italie.

Bataille de Zurich remportée par Masséna, le 25 septembre 1799 sur l'armée austro-russe de Suvorov . Bouchot François (1800-1842) - RMNMasséna va, dans les mois qui suivent, quelques-unes des plus belles pages de sa vie. Lorsque Jourdan, battu par l'archiduc Charles, à Liptingen et à Stokach, est forcé de reculer, c'est lui qui est choisi pour le remplacer à la tête des armées combinées d'Helvétie, du Danube et du Rhin. Il comprend rapidement la situation, après le recul de Jourdan, et, malgré une avancée heureuse qui l'a mené à Coire, il décide de se retirer sur Zurich.

Une première bataille de Zurich est gagnée le 3 juin, sans pour autant être décisive. Masséna, devant une position qu'il juge dangereuse, décide de faire retraite, sur une ligne défensive. Le hasard fait que l'archiduc Charles décide de faire repartir ses troupes sur le Rhin, alors que les russes de Souvorov ne sont pas encore arrivées.

La deuxième bataille de Zurich est remportée les 25 et 26 septembre, Souvorov est obligé de faire (brillamment) retraite sur l'Iller et le Lech.

Comme, en Hollande, Brune rejette les anglais d'York, la France est, une fois encore, sauvée de l'invasion. C'est en majeure à partie à Masséna qu'elle le doit.

 

Le héros de Gênes

Bonaparte était revenu d'Égypte le 9 octobre et, le 18 (en fait le 19) brumaire, était devenu Premier Consul. Masséna se voyait déjà investi d'un commandement à la mesure de ses succès. Il n'obtient "que" celui de l'armée d'Italie, remplaçant Championnet, mort du typhus. Devant lui, l'armée de Mélas.

L'état de celle que vient commander Masséna n'a cessé de se détériorer, comme le raconte Thiébault :

Le général trouvait, au lieu de soldats, des malheureux dévorés par la misère et les maladies, usés au moral comme au physique ....

La première tache est la réorganisation, avec fermeté :

Je vous rappelle, au nom de l'honneur, á ces devoirs sacrés et déclare que vous serez désormais responsables en masse envers moi de votre inconduite. Si j'entends encore parler de mouvements insurrectionnels, je casserai votre demi-brigade (la 2e), je licencierai le corps d'officiers et je traduirai les coupables devant des commissions extraordinaires

Il a d'ailleurs les pleins pouvoirs :

Les consuls de la République, vu les circonstances où se trouve  l'armée d'Italie, arrêtent :

Art. 1er - Le général en chef Masséna est investi de pouvoirs extraordinaires.
Art. 2 - Il peut suspendre et renvoyer les généraux qui n'auraient pas sa confiance
Art. 3 - Il pourra casser les corps et destituer les officiers qui auraient des principes d'insubordination
Art. 4 - Il prendra toutes les mesures pour assurer les communications et rétablir la police dans les départements faisant partie de l'armée d'Italie. Il donnera des ordres pour qu'il soit emporté des départements du Var et des Bouches-du-Rhône le moins de blé possible. (..)

En février 1800, Masséna est dans Gênes. Mais les renforts prévus n'arrivent pas, Gênes est assiégée, un siège impitoyable, qui va durer jusqu'à la capitulation, avec les honneurs de la guerre, le 4 juin, 10 jours avant Marengo. L'amiral Keith lui lance :

Monsieur le général, votre défense a été trop courageuse pour qu'on puisse rien vous refuser.

Sur 18.000 combattants, la moitié à péri par le feu. Soult a été gravement blessé à la jambe; Antoine Marbot a trouvé la mort; Gazan est lui aussi grièvement blessé, comme quatre des six généraux de brigade et les trois quarts des officiers supérieurs.

 

Disgrâce

Turin, 26 juin 1800

BULLETIN DE L'ARMÉE DE RÉSERVE

L'armée de réserve et celle d'Italie ne forment plus qu'une seule et même armée sous le nom d'armée d'Italie. Le général Masséna en prend le commandement en chef.

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Paris le 15 août 1800.

Au général Masséna, commandant en chef l'armée d'Italie.

Le Premier Consul, citoyen général, vient de nommer le général Brune au commandement en chef de l'armée d'Italie, actuellement sous vos ordres. Vos voudrez bien, en conséquence, lui remettre ce commandement, s'il est arrivé à votre quartier général au reçu de cette lettre, et, dans le cas contraire, le remettre à l'un de vos lieutenants généraux.

L'intention du premier consul est d#employer votre zèle et vos talents d'une manière différente et également utile à la République; il vous autorise, ou à venir directement et de suite à Paris, si vous le désirez, ou à vous retirer quelque temps chez vous jouir du repos qui vous est nécessaire; après quoi, vous vous rendrez près du Premier Consul.

La fierté d'avoir obtenu le commandement de l'armée d'Italie n'aura pas duré longtemps... Une fois encore, les raisons de cette brusque disgrâce sont les mêmes : plaintes pour exactions, avidité insatiable.

Commencent alors trois années, durant lesquelles le citoyen Masséna, rendu à la vie privée, va ronger son frein, tout en jouissant des honneurs rendus à sa personne : sabre d'honneur, inauguration de son buste dans la salle de délibération du conseil municipal de Nice, etc. 

Son cœur jacobin flirte avec les mécontents de tous les bords. Un moment, la police s'intéresse à lui, mais ne prouve rien. 

Comme beaucoup de ses congénères, il "investit" : il achète le château de Rueil. Lesquels congénères sont rapidement pourvus d'emploi dorés : Macdonald est ambassadeur à Copenhague, Brune à Constantinople, Lannes à Lisbonne. Bernadotte commande l'armée de l'Ouest. Bientôt, il va mettre le couvercle sur sa rancune, et fréquenter les Tuileries, Malmaison. Lorsque, en mai 1802, la Légion d'Honneur est créée, Masséna reçoit la plaque de grand officier et est nommé à la tête de la 14e cohorte. Le 28 juillet 1803, il est élu au Corps Législatif, en tant que représentant le département de la Seine. C'est Réal qui l'y a engagé, au nom du premier Consul.

Alors, quand, après la proclamation de l'Empire, André Masséna se voit nommer maréchal, il peut regarder l'avenir avec plus de sérénité : son purgatoire est terminé ! Si seulement il pouvait obtenir un grand commandement !



La troisième coalition

Boulogne, le 12 fructidor.

J'ai l'honneur de vous envoyer, monsieur le Maréchal, le décret de l'Empereur qui vous nomme général en chef de son armée d'Italie. Sa Majesté ordonne que vous partiez au plus tard le 15 fructidor au matin et que vous soyez rendu en quatre jours à Milan pour prendre le commandement de cette armée (...)

André Masséna retourne donc en Italie. Au cours de cette mémorable campagne d'Allemagne, qui va culminer à Austerlitz, il se voit donné la tâche de couvrir le flanc droit, vers l'Italie, de la Grande Armée. Il va de nouveau affronter l'archiduc Charles, qui lui oppose 100.000 hommes.

Le 12 septembre Masséna est à Villafranca, près de Vérone. Il a avec lui les divisions Gardanne, Verdier, Molitor, Duhesme, Séras; la cavalerie est emmenée par Espagne, Pully, Mermet. Bref, du solide. Son objectif : Caldiero, place d'armes des autrichiens. La bataille a lieu du 29 au 31 octobre. Les autrichiens sont battus, mais non détruits. Ils reculent en direction de Vienne, Masséna à ses trousses. Ce dernier arrive bientôt à Laybach, où lui parvient la nouvelle de l'éclatante victoire d'Austerlitz. Il prend la plume pour féliciter son souverain, ne négligeant pas les formules :

(...) Permettez-moi d'offrir à Votre Majesté le respectueux hommage des accents d'admiration et d'enthousiasme qui retentit dans son armée d'Italie (...) Il est réservé à Votre Majesté de vaincre dans tous les climats, d'anéantir les efforts de la barbarie armée contre la coalition des peuples modernes et de rasseoir l'Europe sur ses vieux fondements (...)

La paix de Presbourg est bientôt signée. D'autres tâches attendent Masséna.

 

Maintien de l'ordre en Calabre

Napoléon a donné à son frère Joseph le royaume de Naples, dont il a dépossédé Marie-Caroline-Charlotte de Lorraine-Habsbourg, reine des Deux-Siciles. Ce royaume est cependant à conquérir. Le 28 décembre 1805, Berthier lui envoie l'ordre qui lui confie cette mission. C'est reparti ! Cela ne traîne pas : le 15 février, Joseph entre à Naples, Masséna à ses cotés.

Mais à Gaete et en Calabre, on prêche la résistance. Reynier a mis le siège devant la première, le 10 février. En avril, malgré ses efforts, les choses vont mal, et il songe à lever le siège. Joseph envoie Masséna. La ville est prise, après un furieux bombardement, le 18 juillet.

La Calabre, maintenant. Là-bas, bien avant l'Espagne, se déroule une guerre de guérilla. Elle est menée par deux chefs de bandes : Il Boia (le bourreau) et Fra Diavolo. Face à ce dernier, Masséna essaye d'abord de l'amadouer avec de l'argent. Sans succès. Au contraire, c'est, au début, Fra Diavolo qui en obtient, des succès. Mais Masséna monte bientôt une contre-guerilla et le 31 octobre, le rebelle est capturé Présenté devant un tribunal extraordinaire, il est rapidement condamné à la pendaison et exécuté. Dans le même temps, Masséna défait les anglais de Stuart, qui sont contraints de se rembarquer pour la Sicile.

Le calme assuré, Joseph s'impatiente de voir Masséna à ses cotés, et le lui fait savoir. Le 12 janvier 1807, celui-ci repart pour la France.

 

Duc de Rivoli

André Masséna, duc de Rivoli, prince d'Essling, Maréchal de l'Empire en 1804 (1756-1817) - Fontaine Edme-Adolphe (1814-après1878) - RMNIl n'y reste pas longtemps. Bientôt, il est appelé en Pologne, arrivant à Osterode après la bataille d'Eylau. Napoléon lui donne le commandement de l'aile droite, composée du Ve corps, des légions polonaises et du contingent bavarois. Tâche somme toute subalterne : il doit  contenir les russes, surveiller les autrichiens, couvrir Varsovie. Mais il s'en acquitte bravement et son action permet à Napoléon d'être vainqueur à Friedland. Il fortifie les bords de la Vistule et ceux de la Narew. Pour raison de santé, il demande un congé, qu lui est accordé et il se retire à Rueil. Là, il apprend qu'il a été fait duc de Rivoli, le 19 mars 1808. Il a maintenant 50 ans, dans la pleine force de l'âge... comme le montrent ses nombreuses escapades amoureuses ! Il fréquente, ici et là et à son corps défendant, les fastes de la Cour, ce qui lui vaut d'être presque éborgné par son collègue Berthier, lors d'une partie de chasse á Fontainebleau, en septembre 1808. 

Mais les affaires "sérieuses" vont bientôt reprendre. La cinquième coalition a vu le jour.

 

Essling et Wagram

Le 13 mars 1809, le duc de Rivoli reçoit l'ordre qui le nomme commandant du IVe corps, avec, sous ses ordres : Legrand, Carra-Saint-Cyr, Claparède, Molitor, Boudet, autant de noms qui vont entrer, cette année là, dans l'histoire.

Et c'est la marche sur Ratisbonne, marquée par les quatre victoires françaises : Thann, Abensberg, Landshut, Eckmühl. l’archiduc Charles est contraint de se replier sur la Bohème. Napoléon ne se lance pas à sa poursuite, mais donne à l’Armée d’Allemagne (la Grande Armée, créée à Boulogne le 29 août 1805, avait été dissoute le 12 mars 1808; pour les opérations de 1809, les Bulletins font référence à l'Armée d'Allemagne) l’ordre de se diriger sur Vienne.

C’est Masséna qui ouvre la marche, par Straubing et Linz. Il est suivi par Davout et Bernadotte. Napoléon prend par Landshut et Braunau, accompagné de la Garde, de Lannes et Vandamme, ainsi que de la cavalerie de Bessières. Ils repoussent devant eux le corps autrichien de Hiller, que Masséna défait le 6 mai à Ebelsberg. Hiller se replie sur Saint-Pölten, et repasse le Danube, avec deux tiers de son armée, à Mautern, envoyant le reste vers Vienne, sous le commandement de Nordman.

Les français sont pressés d’arriver à Vienne, pour y devancer l’archiduc Charles. Le 7 mai Napoléon est à sont tour à Saint-Pölten, le 9 Oudinot couche à Sieghardskirchen.

Nous renvoyons le lecteur, pour les évènements qui vont suivre et mener aux batailles d'Essling et de Wagram, aux pages correspondantes sur ce site.

Désormais, le duc de Rivoli s'appelle aussi prince d'Essling.

Mais, au sud, en Espagne, des nuages se lèvent. Là-bas, Joseph, le roi imposé par son frère, n'est plus vraiment maître de la situation. Il faut y envoyer un chef à poigne, capable de se faire obéir.

 

En Espagne

Le 17 avril 1810, Masséna est convoqué par l'Empereur, alors qu'il se repose à Rueil. Il lui annonce qu'il doit prendre le commandement de l'armée du Portugal, ce qui met Junot et Ney sous ses ordres. Cela ne l'enchante guère, mais il lui faut bien obéir.

Au printemps 1810, la puissance anglaise est intacte dans la péninsule ibérique. Certes, Soult à été vainqueur à Oporto, Sébastiani à Ciudad-Real, Victor à Médélin, mais Mortier n'a évité que de justesse, à Ocana, que Madrid ne fut reconquis pas les espagnols. Victor n'a pas osé, ou pas voulu, aller porter secours à Soult, ce qui a permis à un certain Wellington de s'installer confortablement le long du Tage et de battre Jourdan, puis de se retirer sur ses positions sans être inquiété.

Pour redresser une situation périlleuse, et porter, enfin, le coup décisif à l'Angleterre, Napoléon a donc choisi d'envoyer là-bas celui qu'il considère comme son meilleur second.

Masséna trouve au Portugal des troupes (IIe, VIe et VIIIe corps, commandés respectivement par Reynier, Ney et Junot) de qualités inégales et au moral passablement entamé. Ils sont mal nourris, mal vêtus, mal soignés et mal payés, et ont acquis une peur intense de la guérilla.

Les choses commencent pourtant bien. La forteresse d'Astorga une fois prise (c'est Junot qui s'en charge), le siège est mis devant Ciudad Rodrigo, qui capitule le 10 juillet. Ceci fait, les troupes de Masséna franchissent la frontière portugaise et s'en vont mettre le siège, cette fois-ci, devant Almeida. La place capitule le 27 août. Masséna peut maintenant lancer son offensive en Portugal.

C'est alors Torres-Vedras, position fortifiée de façon impressionnante par les anglais, et devant laquelle les français se présentent le 11 octobre. Si Masséna dispose d'environ 60.000 hommes, Torrès-Vedra est défendue par 25.000 portugais, auxquels l'armée anglo-portugaise (50.000 hommes autour de Mafra) sont prêts à venir en aide là où cela sera nécessaire. Il va cependant rester un mois devant la place, espérant que Wellington acceptera le combat, puis, le 15 novembre, il décide de se replier sur Santarem. Son armée s'est réduite au fil des jours. En mars 1811, il n'en n'a plus que 47.000. Et Soult, bloqué à Badajoz, ne peut lui apporter son soutien. Alors, le 5 mars, le prince d'Essling se décide au repli. Il est suivi par Wellington, à distance. Le 8 avril, il est de nouveau en Espagne. Il décide de reprendre quelque peu l'offensive, bien que terriblement affaibli. Il espère débloquer Almeida, où Wellington s'est installé. Les anglais remportent, au mois de mai (3-5 mai), la sanglante bataille de Fuentès de Onoro. L'espoir de reprendre le contrôle du Portugal s'est éteint.

 

La fin de l'Empire

Le 20 avril, Napoléon avait déjà décidé du remplacement de Masséna par Marmont. 

L'Empereur, monsieur le maréchal prince d' Essling, ayant jugé à propos de donner le commandement de son armée de Portugal à M. le maréchal duc de Raguse, l'intention de Sa Majesté est, qu'aussitôt après avoir remis votre commandement, vous vous rendiez à Paris. L'Empereur ordonne expressément que vous ne rameniez avec vous que votre fils et un autre de vos aides de camp. Le colonel Pelé, tous vos autres aides de camp et tous les officiers d'état-major doivent rester avec M. le duc de Raguse.

Le 12 mai, ce dernier prend son poste. On ne verra plus le prince d'Essling sur un champ de bataille.

Le maréchal, fut atterré par sa disgrâce. L'âme navrée, sentant sa gloire obscurcie, il partit aussitôt pour Salamanque.

Un mois après, il est aux Tuileries. Les questions, les reproches pleuvent. Finalement, l'Empereur lâche :

Décidément, monsieur le prince d'Essling, vous n'êtes plus Masséna.

André Masséna ne fera pas la campagne de 1812, ni celle de 1813, ni la campagne de France, alors que la France se bar sur son propre sol. Le 14 avril 1813, Napoléon signait le décret suivant :

Le prince d'Essling se rendra à Toulon et en prendra le commandement comme gouverneur; il aura en outre le commandement supérieur de toute la 8e division militaire. Toutes les troupes de la marine destinées à la défense des côtes et de la ville, les troupes de terre et les gardes nationales sont sous ses ordres.

Piètre consolation pour celui qui avait participé à tant de combats et remporté tant de victoires ! Et en plus, on ne lui paie pas ce qui lui est dû !

J'apprends que le maréchal duc d'Elchingen, qui commandait un corps d'armée sous mes ordres, a reçu le traitement qui lui revenait. S'il a pu être payé, je pense qu'il n'existe pas de raisons pour que je ne le sois pas aussi. Je prie Votre Excellence (note : Berthier) de vouloir bien donner des ordres pour que je sois traité de la même manière que le duc d'Elchingen. En m'obligeant, ce sera un acte de justice qu'elle fera.

 

La Restauration

L'empereur ayant abdiqué, Masséna écrit, dès le 16 avril, aux membres du Gouvernement provisoire :

Messieurs. - J'ai reçu la lettre que vous m'avez fait l'honneur de m'écrire en date du 10 courant. Je vous suis infiniment reconnaissant de la bonne opinion que vous avez de moi, sur l'amour que je porte à ma patrie; la savoir heureuse, ce sont tous mes vœux. Vous pouvez compter, messieurs, sur mon zèle, sur tous mes efforts pour conserver à la France l'escadre, l'arsenal et la ville de Toulon.

Il ne s'élève dans mon cœur d'autre désir que de voir cesser les malheurs que la France éprouve. Croyez que je ferai tout ce qui dépendra de moi pour mériter la continuation de l'estime et de la confiance de mes concitoyens. Le commandement qui m'est confié servira de guide à mes actions - le défendre contre les ennemis de ma patrie et conserver à la France un de ses plus beaux établissements maritimes sera l'objet de toute ma sollicitude.

Messieurs, ma tâche est difficile : c'est vous dire que j'ai besoin d'être plus éclairé sur les événements politiques, désirant, comme bon Français, la paix et la tranquillité publiques. J'espère recevoir des instructions qui traceront ma conduite et vous prouver, comme les camarades que vous me citez, que mon désir est de concourir, en tout ce qui dépendra de moi, à l'affermissement du nouvel ordre de choses auquel j'adhère dès à présent. 

Quelques jours plus tard, il écrit au ministre de la guerre (note : Dupont, l'infortuné de Baylen) :

Monsieur le comte, je n'attendrai pas de recevoir un congé pour me rendre à Paris. Le maréchal Oudinot m'a écrit, au nom du Roi, de partir de suite y étant autorisé par Sa Majesté; mais j'ai cru ne devoir pas quitter, quoique momentanément, mon poste, sans en avoir reçu l'ordre de Votre Excellence, comme vous me l'aviez fait espérer par votre lettre du 5.

J'ai besoin d'un congé; j'ai le plus grand désir de présenter mes hommages à Sa Majesté et de voir ma famille pour y arrêter quelques affaires. J'envoie mon fils à Paris avec une lettre pour le Roi. Ayez la bonté de la présenter vous-même à Sa Majesté; je vous en serai bien reconnaissant, ainsi que de me faire expédier de suite un congé. Je ne resterai à Paris que le temps que Sa Majesté jugera à propos de me laisser. Je réclame ce témoignage de votre ancienne amitié pour moi.

Ma poitrine affectée d'un catarrhe me met dans une nécessité d'habiter en hiver un climat chaud. Le
midi de la France me convient parfaitement. Je réclame de votre amitié de me faire donner le commandement de la 8e division militaire, mon pays natal. Je pourrai y rendre quelques services à mon souverain en y passant les hivers : vous me donneriez une preuve d'attachement en faisant tout ce qui dépend de vous pour me le faire accorder. Je pourrai faire le bien et contribuer à faire celui du Roi dans cette partie de la France sous mon commandement.

A Paris, Masséna est reçu par le Louis XVIII, décoré de l'Ordre de Saint-Louis. Pourtant, se plaint-il à Dupont :

(...) Je m'attendais à recevoir ensuite le grand cordon et la croix, attendu que j'ai vu, pendant mon séjour à Paris, Sa Majesté à ceux qu'elle a daigné recevoir; veuillez avoir la bonté de me les faire expédier.

Masséna retourne à Marseille. Jusqu'au 2 mars 1815, lorsqu'il apprend le retour de Napoléon. Embarras de Masséna. Le 9 mars, les marseillais peuvent lire la proclamation suivante :

Habitants de la ville de Marseille.

L'ennemi a passé avec trop de rapidité sur les frontières de mon gouvernement pour qu'on pût s'y opposer; mais j'ai prévenu en temps utile toutes les autorités qui pourront l'arrêter dans sa marche.

Toutes les mesures de précaution que les circonstances prescrivaient de prendre, je les ai prises; j'ai écrit au Gouverneur général de Lyon, au lieutenant-général de la 7e division, au préfet de la Drôme; j'ai fait poursuivre, même hors des limites de la 8e division, le corps débarqué de l'île d'Elbe, par un lieutenant-général qui a non seulement des forces suffisantes en troupes de ligne, mais encore des détachements des braves Gardes nationales des villes de Marseille, d'Aix et d'Arles, et qui a reçu l'ordre d'appeler auprès de lui toutes celles dont il pourrait avoir besoin.

Les avis que j'ai donnés ont eu tout le succès que je pouvais en attendre.

Ils ont empêché l'ennemi de trouver sur son passage les auxiliaires sur lesquels il comptait.

Je suis déjà prévenu officiellement que les débouchés du Val-Drôme et du Val de Nyons sont gardés.

Qu'une correspondance a été établie de Gap à Valence par la montagne du Diois pour diriger les troupes suivant l'occurrence.

Que le lieutenant-général Duvernai s'est porté de Valence au-devant de l'ennemi, sur la route de Gap, après avoir concerté ses opérations avec le général Marchand.

Que M. le lieutenant-général commandant à Lyon a réuni trois régiments d'infanterie et un régiment de dragons.

Toutes ces dispositions doivent vous rassurer.

D'un autre côté, je veillerai à ce que la tranquillité du paisible citoyen ne soit pas troublée et je vous réponds que secondé de M. le marquis d'Albertas, votre préfet et de vos autres magistrats, je saurai la maintenir dans toute son intégrité.

Habitants de Marseille, vous pouvez compter sur mon zèle et sur mon dévouement. J'ai juré fidélité à notre Roi légitime. Je ne dévierai jamais du chemin de l'honneur, Je suis prêt à verser tout mon sang pour le soutien de son trône !.

A peine un mois plus tard, nouvelle proclamation :

Proclamation du maréchal d'Empire, duc de Rivoli, prince d'Essling, gouverneur de la 8e division militaire aux habitants de la 8e division militaire.

Un événement aussi heureux qu'extraordinaire nous a rendu le souverain que nous avions choisi : le Grand Napoléon.

Ce doit être un jour de fête pour tous les Français.

Il est remonté sur son trône sans qu'il y ait eu une goutte de sang répandue.

Il est revenu au sein d'une famille qui le chérit.

Français! il n'y pas une ville dans l'Empire où il n'y ait un monument qui atteste ses bienfaits.

Bénissons le Ciel qui nous l'a redonné,

Le militaire revoit en lui le héros qui l'a constamment conduit à la victoire. Les sciences et les arts retrouvent leur Protecteur.

Faisons des vœux pour la conservation de ses jours et de sa dynastie.

Marseille, le 10 avril 1815

Le maréchal d'Empire, Duc de Rivoli, prince d'Essling.

Soyons indulgent : il ne fut pas le seul a retourner si vite sa veste ! Et d'ailleurs Napoléon n'est pas rancunier : il reçoit Masséna. Mais il ne le renvoie pas à Marseille. Ce seront les 4e et 5e divisions militaires (Meurthe, Moselle et Vosges). Masséna refuse et reste à Paris, assistant aux séances de la Chambre des Pairs.

Waterloo, seconde abdication. Masséna assiste aux évènements, retiré à Rueil. Bientôt, son ancien collègue, Ney, est arrêté, et est déféré devant un conseil de guerre. La maréchal Masséna craint par dessus tout d'avoir à témoigner contre le maréchal Ney. Il sollicite l'autorisation, pour raison de santé, de se retirer en Toscane. Le roi refuse.

Le 9 novembre 1816, le conseil de guerre se réuni dans la salle des assises du Palais de Justice. Masséna invoque de ses anciennes relations avec l'accusé pour demander sa récusation. Nouveau refus. Finalement, le procès sera renvoyé à la Chambre des Pairs.

Mais son attitude a attiré l'attention sur lui. Le 12 janvier 1816, il reçoit la notification suivante :

Le ministre de la Guerre au maréchal, prince d'Essling.

M. le maréchal, le Roi ayant ordonné de lui faire connaître la conduite tenue par chacun des maréchaux de France qui ont pris une part plus ou moins active aux projets de l'Usurpateur depuis le 20 mars, les ministres de Sa Majesté ont eu l'honneur de lui soumettre, en son conseil du 27 décembre, les pièces authentiques qui avaient été recueillies dans les divers ministères pour fixer à ce sujet l'opinion du Roi.

Les diverses lettres adressées par Votre Excellence, le 3 mars, au ministre de la Guerre et le 13 avril à M. le prince d'Eckmühl, ont fourni la preuve de l'indifférence avec laquelle Votre Excellence a reçu les premiers avis du débarquement de Bonaparte et de l'activité qu'elle a ensuite déployée pour mettre sous son obéissance, la division militaire dont le Roi lui avait confié le gouvernement.

D'après ces considérations, Sa Majesté a décidé que Votre Excellence serait remplacée dans le gouvernement de la 8e division militaire et Elle a ordonné qu'on cessât de lui payer aucune espèce de traitement.

Les derniers mois qui lui restent à vivre vont être marqués par la lutte contre la maladie, la tuberculose.

Le 4 avril 1817, André Masséna, duc de Rivoli, prince d'Essling, maréchal, s'éteignait, à l'âge de cinquante-neuf ans. Il repose au cimetière du Père Lachaise, à Paris.


Repères bibliographiques