Le général Savary, duc de Rovigo
Le général Pezet-Clozeau
Le chirurgien Dominique Larrey
Constant
Cadet de Gassicourt
"Pendant que les deux armées, restant sur place, sobservaient mutuellement et que les généraux, rassemblés derrières leurs bataillons discutaient des évènements de la journée, le maréchal Lannes, fatigué davoir tant galopé, était descendu de cheval, et marchait en compagnie du général Pouzet. Cest alors quune balle perdue frappe ce dernier à la tête, le tuant sur le coup aux pieds du maréchal. Pouzet avait été sergent dans le régiment Champagne, et, au commencement de la Révolution était au camp de Le Miral, où mon père commandait. A la même époque, le bataillon des volontaires du Gers, où Lannes était sous-lieutenant, appartenait à la même division. Les sergents des vieilles troupes de ligne ayant la charge de former les volontaires, ceux du Gers furent confiés à Pouzet. Devinant rapidement les qualités du jeune sous-lieutenant, il ne se contenta pas de lui enseigner les règles militaires inscrites dans le manuel dinstruction, mais le forma si bien à la manœuvre quil devint un excellent tacticien. Attribuant sa première promotion aux talents dinstructeur de Pouzet, Lannes sattacha à lui, et tira avantage de ses avancements successifs pour en faire profiter son ami. On conçoit alors sa peine lorsquil vît son ami à ses pieds.
Nous étions à ce moment un peu en avant de la tuilerie, sur la gauche, vers Essling. Ému, et voulant séloigner du corps, le maréchal fît une centaine de pas en direction dEnzersdorf. Il sassis, pensif, sur le bord dun ravin, doù il pouvait observer les troupes. Un quart dheure plus tard, quatre soldats portant avec précaution un corps enveloppé dans un manteau, qui ne laissait pas voir le visage, sarrêtèrent un moment devant le maréchal. Le manteau tomba et Lannes reconnu Pouzet. "Cette image si terrible doit-elle me poursuivre partout" sécria-t-il et, se relevant, il alla sasseoir sur le bord dun autre ravin, la tête dans ses mains, les jambes croisées. Comme il était assis là, plongé dans une profonde méditation, un boulet de 3 livres, tiré par une batterie dEnzersdorf, vînt en ricochant lui atteindre les jambes, là où elles se croisaient, brisant la rotule de lune et déchirant les muscles de lautre. Je me précipitai vers le maréchal, qui me dit: "Je suis blessé, ce nest pas grand-chose. Aidez moi à me lever." Il essaya, sans succès, de se relever. Le régiment dinfanterie qui se trouvait devant nous envoya des hommes pour emmener le maréchal vers une ambulance, mais, comme nous navions ni manteau ni civière, nous dûmes le transporter dans nos bras, ce qui lui causa dénormes souffrances. Un sergent, voyant à quelque distance les soldats qui transportaient le corps du général Pouzet, couru vers eux pour leur demander le manteau dans lequel il était enveloppé. Nous allions y étendre le maréchal, afin de le transporter sans quil ne souffre de trop, mais il reconnu le vêtement et me dît: "Cest celui de mon ami, il est couvert de son sang, je ne veux pas men servir. Transportez moi comme vous pourrez". A quelque distance japerçu un groupe darbres; jy envoyai monsieur le Coulteux et quelques grenadiers. Ils en revinrent avec une civière couverte de branchages. Nous emmenâmes ainsi le maréchal jusquà la tête de pont, où les chirurgiens pansèrent sa blessure, sans être daccord sur ce quil fallait faire. Le docteur Larrey opinait pour une amputation de la jambe dont la rotule était brisée; lautre, dont jai oublié le nom, voulait couper les deux jambes; quant au docteur Yvan, dont je tiens ces détails, il était opposé à toute amputation. Il avançait que la forte constitution du maréchal, lui permettrait de se remettre, alors quune opération, pratiquée par une si forte chaleur le conduirait inévitablement au tombeau. Larrey était le chirurgien le plus gradé de larmée, et son opinion prévalu. Le maréchal fut amputé dune jambe. Il supporta lopération avec un très grand courage. Celle-ci était à peine terminée que lEmpereur arriva. Lentrevue fut très touchante. LEmpereur, agenouillé à coté de la civière, pleurait lorsquil embrassa le maréchal, dont le sang tacha la tenue blanche."
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"Malgré ses souffrances, le maréchal noubliait pas ses troupes, senquérant delles à chaque instant. Il apprît avec joie que lennemi nentreprenait pas de les poursuivre, alors quelles profitaient de la chute du jour pour se replier dans la Lobau. Son inquiétude sétendait à ses aides de camp qui avaient été blessés en même temps que lui; il demandait de leurs nouvelles et quand il saperçut que jétais moi-même pansé avec un linge, il demanda au docteur Larrey de mexaminer. Jaurais voulu accompagner le maréchal à Ebersdorf, sur la rive droite, mais les ponts étaient coupés, et nous ne voulions pas le mettre dans une embarcation. Il dut par conséquent passer la nuit sur lîle, où, pour faire un matelas, jempruntais une douzaine de manteaux de cavalerie."
© Anovi - 2002 - R. Ouvrard